PERMIS DE CONSTRUIRE, PERMIS D’ABATTRE ?

Une autorisation d’urbanisme peut-elle valoir octroi de la dérogation prévue par l’article L. 350-3 du code de l’environnement ?

Dans un avis pragmatique du 21 juin 2021, n°446662, le Conseil d’État a répondu par l’affirmative.

Pourtant, cette solution n’allait pas de soi.

La protection des allées d’arbres et des alignements d’arbres qui bordent les voies de communication est issue de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 dite « loi pour la reconquête de la biodiversité ».

L’article L. 350-3 du code de l’environnement prévoit un régime de protection de principe auquel il est permis de déroger dans trois cas :

  • lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ;
  • lorsque l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures ;
  • Enfin, des dérogations peuvent être accordées par l’autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction.

Dans ce dernier cas, l’article L 350-3 du code de l’environnement est particulièrement évasif. Il ne précise pas si l’autorisation d’urbanisme nécessaire pour la réalisation du projet de construction peut valoir octroi de la dérogation prévue par les dispositions précitées.

Dans ce cadre le Tribunal administratif de Renne a saisi le Conseil d’État d’une question préjudicielle pour savoir si :

  • ces dispositions sont opposables à une demande d’autorisation d’urbanisme (en l’espèce un permis d’aménager) ;
  • si le permis d’aménager peut valoir dérogation au sens de l’article L. 350-3 précité ou s’il faut que l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation d’urbanisme attende qu’une dérogation soit accordée par ailleurs, en particulier lorsque l’autorité compétente à cet égard n’est pas celle qui délivre le permis.

Il était prévu que des décrets d’application soient pris pour en expliciter les conditions de mise en œuvre. Finalement, ces décrets n’ont jamais été pris sans que cela ne nuise à l’opposabilité de ces dispositions dont le degré de précision a été jugé comme suffisant (sur ce point, v. O. FUCHS, concl. sous CE, 21 juin 2021, Association La nature en ville, n° 446662).

Dans l’ambiguïté du texte, certaines juridictions avaient pu juger que les dispositions de l’article L. 350-3 précité relevaient d’une législation indépendante (v. CAA Nantes, 9 février 2021, n°20NT01894). Cette solution pouvait se justifier aisément dans la mesure où l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme limite le contrôle de l’administration en précisant que « Le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique. »

Et force est de constater qu’en application de ces dispositions, la protection des alignements d’arbres n’entre pas stricto sensu dans le champ de contrôle de l’administration.

Néanmoins, la Conseil d’état a préféré opter pour une approche pragmatique à la faveur « d’une formulation législative accueillante » selon les termes du Rapporteur Public.

Il a considéré que l’autorisation d’urbanisme d’un projet impliquant l’abattage d’arbres alignés en bordure d’une voie de communication vaut bien autorisation de cet abattage au sens de l’article L. 350-3 du code de l’environnement.

Paradoxalement, le raisonnement du Conseil d’Etat se fonde sur l’article L. 421-6 mais aussi sur les articles R. 111-26 et R 111-27 du code de l’urbanisme qui n’ont pourtant pas vocation à étendre le contrôle du service instructeur et la compétence de l’autorité en charge de la délivrance de l’autorisation au-delà de leur domaine tel qu’il est défini par la loi.

Le Rapporteur public a relevé que cette solution était la plus protectrice des intérêts protégés par l’article L 350-3 dès lors que la solution alternative basée sur l’indépendance des législations :

« présente toutefois un défaut non négligeable, qui est de mettre sous l’éteignoir  la volonté du législateur. En particulier, puisque le dispositif est très éthéré, il est fort probable qu’en pratique, la solution d’indépendance des législations créée une zone grise dans laquelle, tant que l’abattage en raison d’un projet de construction n’aura pas commencé, aucune décision ne pourra être contestée, avec le risque que la contestation soit nécessairement tardive. Si c’est donc la solution la plus simple, elle n’a, pour ce motif, pas notre préférence. »

C’est donc la volonté de donner toute portée utile à l’article L. 350-3 qui a motivé la solution retenue.

Concrètement, il appartiendra au service instructeur saisi d’une demande d’autorisation d’urbanisme portant atteinte à un alignement d’arbres protégé au titre de l’article L. 350-3 de s’assurer que :

– l’atteinte est bien rendue nécessaire par le projet ;

– des mesures compensatoires « appropriées et suffisantes » sont prévues, c’est-à-dire des plantations et un volet financier relatif à l’entretien de ces nouvelles plantations.

Une telle solution est bienvenue. Elle permet d’assurer l’effectivité de la protection des allées d’arbres en liant le sort du projet de construction à celui du « projet d’abattage ». Autrement dit, et à titre d’exemple :

  • La suspension du permis de construire conduira à la suspension de la dérogation ;
  • La méconnaissance du volet du permis de construire relative à l’abattage des arbres sera susceptible de fonder une contestation de la conformité des travaux voire d’engager la responsabilité pénale du constructeur ;

Ces conséquences permettent de pallier l’absence de sanction de la méconnaissance du dispositif de protection de l’article L 350-3 du code de l’environnement.

En outre, dans la mesure où le Conseil d’État a précisé que cette solution s’applique à la délivrance des permis de construire, permis d’aménager et déclarations préalables, le juge définit incidemment de manière particulièrement large les « projets de construction » visés par l’article L. 350-3, toujours dans l’objectif d’assurer la plus grande effectivité à ces dispositions.

Enfin, si tel n’était pas l’objectif du juge, on peut saluer la circonstance que cet avis facilite les démarches des constructeurs qui n’ont plus qu’à solliciter une seule autorisation plutôt que deux distinctes.

Pour lire l’avis, c’est ici.

le 25.07.2021

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