[QPC] LA « CLAUSE ANTI-SPECULATION » DU CODE DE L’EXPROPRIATION EST JUGÉE CONFORME A LA CONSTITUTION

Par une décision n° 2021-915/916 QPC du 11 juin 2021, le Conseil Constitutionnel a jugé que les dispositions de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, souvent désignées par la doctrine comme la « clause anti-spéculation », sont conformes à la Constitution.

Si, en application de ces dispositions, le juge de l’expropriation a l’obligation de fixer le montant de l’indemnité d’expropriation au regard de la valeur vénale du bien exproprié à la date de la décision de première instance (alinéa 1), il doit prendre en compte l’usage effectif de ce bien à une date antérieure, dite « date de référence » (alinéa 2).

Par ailleurs, le juge de l’expropriation ne peut tenir compte des changements de valeur, résultant de certaines circonstances, subis par le bien depuis la date de référence, et notamment lorsqu’ils sont provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant (alinéa 4).

Le législateur a entendu, par le biais de la méthode d’évaluation mise en place par ces dispositions, soustraire le bien exproprié à la spéculation foncière potentiellement provoquée par l’annonce de l’opération.

Par deux arrêts en date du 1er avril 2021, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité de la méthode d’évaluation du bien exproprié prévues par les dispositions de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 « en tant qu’elles ne distinguent pas selon que le bien exproprié a vocation à demeurer dans le patrimoine de l’autorité publique expropriante, ou qu’il est déjà avéré que ce bien exproprié sera revendu par l’expropriant au prix du marché, dans des conditions déjà connues lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine au détriment des expropriés » (Cass. 3ème civ., 1er avril 2021, n° 20-17.133 et n° 20-17.134).

En effet, la Cour de cassation a considéré que cette méthode d’évaluation « lorsqu’elle est appliquée à l’évaluation d’un bien destiné à être revendu par l’expropriant dans des conditions déjà déterminées et lui permettant de bénéficier d’une plus-value certaine, est de nature à créer un déséquilibre entre les intérêts de l’exproprié et ceux de l’expropriant, celui-ci étant protégé de la spéculation foncière qui aurait pu bénéficier à l’exproprié, tout en étant assuré d’en tirer lui-même profit. »

Dans sa décision du 11 juin 2021, le Conseil Constitutionnel indique tout d’abord que « l’expropriation d’un bien ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée, sous le contrôle du juge administratif. »

Ce faisant, il insiste sur le fait que toute opération d’expropriation, quand bien même elle serait poursuivie en vue de la revente du bien par l’expropriant, doit nécessairement être justifiée par un projet dont l’utilité publique a préalablement été reconnue.

Le juge constitutionnel rappelle ensuite le but poursuivi par les dispositions contestées :

« 16. D’autre part, en interdisant au juge de l’expropriation, lorsqu’il fixe le montant de l’indemnité due à l’exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu’ils sont provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations.

17. Le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d’un projet d’utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général. »

Enfin, le Conseil constitutionnel met en avant les modalités de réparation du préjudice subi par l’exproprié du fait de l’expropriation de son bien et, plus précisément, la possibilité qu’elles laissent au juge, en dehors des cas d’exclusion prévus par le dernier alinéa de l’article L. 322- 2 du code de l’expropriation, de fixer le montant de l’indemnité en intégrant les changements de valeur du bien survenus pour d’autres motifs postérieurement à la date de référence :

« […] pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. A ce titre, il peut notamment prendre en compte l’évolution du marché de l’immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision. »

En considération de ces éléments, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne méconnaissent pas les exigences résultant de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lesquelles nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

Pour lire la décision, c’est ici.

Le 16 juillet 2021

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