[VEILLE JURISPRUDENTIELLE] [PERMIS DE CONSTRUIRE VALANT AUTORISATION D’AMÉNAGEMENT COMMERCIAL] IRRECEVABILITÉ DU RECOURS CONTRE L’AVIS CDAC/CNAC : OU QUAND UNE COMMUNE DOIT ATTAQUER SA PROPRE DÉCISION

Dans une décision en date du 24 janvier 2022 (n°440164), le Conseil d’Etat a rappelé une solution logique, mais qui, de prime abord, peut paraitre tout à fait saugrenue : pour obtenir l’annulation d’un avis défavorable de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commerciale (CNAC), une Commune est tenue de solliciter devant le juge de l’excès de pouvoir l’annulation du refus de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. Une décision qu’elle a elle-même prise…

1.

En matière d’aménagement commercial, l’une des principales caractéristiques procédurales dans la délivrance des permis de construire réside dans le dépôt d’un dossier devant la Commission départementale d’aménagement commercial pour les projets de commerce emportant plus de 1 000 m² de surface de vente supplémentaire (en application de l’article L. 752-1 du Code de commerce pour un application voir CAA de BORDEAUX, 23/01/2017, 17BX00078, Inédit au recueil Lebon). Laquelle doit émettre un avis favorable pour que le maire de la commune d’implantation puisse délivrer un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (ci-après « permis de construire valant AEC »).

En cas d’avis défavorable, le pétitionnaire peut solliciter un nouvel avis devant la CNAC qui se substituera au premier en application de l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme, aux termes duquel :

« Lorsque le projet est soumis à autorisation d’exploitation commerciale au sens de l’article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d’autorisation dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial. (…) »

En l’absence d’avis favorable, le maire ou le président de l’intercommunalité compétente en matière de délivrance des permis de construire ne peuvent acorder un permis de construire valant AEC. L’on relèvera qu’un tel avis négatif fait également obstacle à la délivrance d’un permis tacite (CE, 4e ch., 1er févr. 2019, n° 411061).

Sur la procédure contentieuse, le contentieux des permis valant AEC présente trois particularités :

  • La première réside dans le fait que le recours contentieux n’est pas recevable si devant le juge de l’excès de pouvoir si le pétitionnaire ou un requérant ayant intérêt à agir n’a pas préalablement saisi l’autorité d’appel en matière d’avis CDAC soit la Commission nationale d’aménagement commerciale.

Cela résulte du deuxième alinéa de l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme (« A peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission nationale par les personnes mentionnées à l’article L. 752-17 du même code est un préalable obligatoire au recours contentieux dirigé contre la décision de l’autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire ») ;

  • La deuxième porte sur la compétence en premier et dernier ressort de la Cour administrative d’appel territorialement compétente pour statuer sur les demandes d’annulation des permis ou refus de permis de construire valant AEC et ce en application de l’article L. 600-10 du Code de l’urbanisme (CE, 4e et 1re ch. réunies, 14 nov. 2018, n° 413246, Lebon) ;
  • Enfin, la troisième particularité tient à ce que la loi autorise les professionnels situés dans la même zone de chalandise que le terrain d’assiette du projet à contester les permis de construire valant AEC (article L. 752-17 du Code de commerce).

L’on comprend aisément que la délivrance de ces permis donne lieu à de forts enjeux économiques dans un contexte de guerre commerciale entre les différents commerçants et demeure une source importante de contentieux en matière d’urbanisme commercial.

2.

Notre espèce n’échappe pas à ce constat.

Une société souhaite créer un hypermarché et un drive sur le territoire de la Commune de GUIGNEN, située en Ile et Vilaine. Suite à un avis négatif de la CNAC, le permis de construire valant AEC est refusé par le Maire.

La municipalité étant manifestement favorable à la réalisation de ce commerce, saisit la Cour administrative d’appel de Nantes d’un recours tendant à l’annulation de l’avis négatif de la Commission nationale d’aménagement commercial. Dans le même temps, la société pétitionnaire malheureuse introduit également un recours devant cette juridiction pour obtenir la réformation, cette fois-ci, du refus de permis de construire.

L’avis comme le refus de permis ont été annulés par un arrêt n°19NT02099, 19NT02156 en date du 28 février 2020 de la CAA de Nantes.

Plusieurs concurrents commerciaux du pétitionnaire se pourvoient alors en cassation devant le Conseil d’État contre cette décision. Laquelle est cassée pour deux motifs de procédure.

  • Le premier motif, et non celui présentant le moindre intérêt de cet arrêt, est que la Commune de GUIGNEN était irrecevable pour demander l’annulation de l’avis négatif de la CNAC.

Le Conseil d’État a jugé qu’un tel avis constituait un acte préparatoire de la décision qui est rendue par l’autorité compétente en matière d’urbanisme. Par suite, toute demande d’annulation de l’avis négatif ne peut être formée que dans le cadre, plus large, d’une demande d’annulation du refus du permis de construire valant AEC :

« 4. Il résulte également des mêmes dispositions qu’alors même qu’un permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale en application des dispositions de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme ne peut être légalement délivré par le maire, au nom de la commune, que sur avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, sur avis favorable de la Commission nationale d’aménagement commercial et qu’ainsi cet avis lie le maire s’agissant de l’autorisation d’exploitation commerciale sollicitée, la commune d’implantation du projet n’est pas recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir de cet avis, qui, comme il a été dit, a le caractère d’acte préparatoire à la décision prise sur la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. »

Le Conseil d’État précise néanmoins que la commune serait parfaitement recevable à demander l’annulation de la décision de refus de permis de construire, ce qui revient dans les faits à ce que le Maire fasse un procès à sa propre décision… sous réserve, néanmoins, qu’il justifie d’un intérêt pour agir :

« Elle est en revanche recevable à contester, par la voie d’un recours pour excès de pouvoir, la décision qu’elle prend sur cette demande en tant seulement qu’elle se prononce sur l’autorisation d’exploitation commerciale sollicitée, pour autant qu’elle justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir. »

Cette solution, un peu baroque il est vrai, n’apparaitra pas aussi saugrenue pour celles et ceux qui pratiquent le contentieux administratif.

En effet, l’on retrouve ici, une particularité propre de recours pour excès de pouvoir, par lequel, un justiciable peut mettre en cause la légalité (soit le respect de la loi ou du règlement) d’un acte pris par une autorité administrative.

Dans le processus décisionnel de l’administration, la loi et le règlement organisent dans bien des domaines l’intervention de plusieurs acteurs (autorités, commissions, consultations diverses) qui constituent un préalable de forme à l’émission d’une décision individuelle ou règlementaire.

En matière d’urbanisme, et à plus forte raison en cas d’aménagement commercial, les permis ou refus de permis de construire délivrés constituent de facto le fruit d’un ensemble de décisions préalables.

Dans notre cas d’espèce, la circonstance que la compétence du maire était liée à la décision de la CNAC constitue ici, une circonstance atténuante de la décision du Conseil d’État dans la mesure où, dans les faits, le Maire de GUIGUEN n’avait pas d’autre choix que de refuser de délivrer le permis en présence d’un avis négatif de la CNAC.

Par suite, l’édile pouvait parfaitement solliciter l’annulation de sa propre décision, sous réserve qu’il apporte la preuve d’un intérêt pour agir. Lequel se trouvera notamment dans des considérations propres de la commune (retombées économiques de l’ouverture d’un tel magasin, attractivité commerciale renforcée du territoire, nouvelles recettes fiscales attendues etc.).

  • Le second motif d’annulation, est relatif aux conclusions des concurrents commerciaux de la société pétitionnaire pour lesquelles le Conseil d’État a relevé un manquement procédural de la Cour administrative d’appel de Nantes.

En effet, le juge de cassation a relevé que les six concurrents commerciaux de la société pétitionnaire n’ont pas été appelés « ainsi (qu’ils) l’auraient dû l’être » à la procédure engagée devant la CAA, alors même qu’ils « avaient contesté devant la Commission nationale d’aménagement commercial l’avis favorable délivré par la Commission départementale d’aménagement commercial ».

Les concurrents n’étant pas parties à la procédure en première et dernière instance, ils ne pouvaient former pourvoi en cassation de l’arrêt de la CAA de Nantes devant lui.

Le Conseil d’État relève toutefois que la décision de la cour « était susceptible de préjudicier » aux droits des concurrents commerciaux du pétitionnaire lesquels n’ont pas pu présenter leurs observations dans le cadre de la procédure suivie devant elle, n’ayant pas été appelés en la cause.

Le pourvoi est requalifié en « requête en tierce opposition » et renvoyé devant la CAA de Nantes, juridiction compétente pour statuer sur ces conclusions.

Pour lire la décision commentée, c’est ici : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045072751?init=true&page=1&query=440164&searchField=ALL&tab_selection=all

Matthieu PRIMUS

Le 28 février 2022

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