[JURISPRUDENCE] CHARTES DE L’URBANISME : SIMPLE COUP DE FREIN OU CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE ?

Sous des vocables diverses et variés, les chartes de l’urbanisme sont devenues depuis quelques années le nouvel outil de régulation et de contrôle par les communes des opérations d’urbanisme visant à la production de logements. Dans un contexte où le nombre de maires bâtisseurs ne cesse de décroître au profit d’élus soucieux de limiter l’édification de nouveaux bâtiments, ces chartes sont souvent décriées par les porteurs de projets. Le jugement du tribunal administratif de ROUEN du 26 janvier 2023 ne pourra que les satisfaire, en ce qu’il prononce -pour incompétence- l’annulation d’une délibération de conseil municipal ayant approuvé une charte de l’urbanisme. Cette décision ne manquera pas de faire jurisprudence et pourrait annoncer la fin prématurée des chartes.

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Par une délibération du 3 février 2022, le conseil municipal de Bois-Guillaume, commune membre de la Métropole Rouen Normandie, a approuvé la Charte de l’urbanisme et du cadre de vie. La lecture de ce document d’une vingtaine de pages, élaboré en concertation avec une convention citoyenne constituée de 16 habitants tirés au sort, révèle que son objet est de « définir et organiser l’aménagement de la commune pour les années à venir ». A destination « de l’ensemble des opérateurs immobiliers qui y adhérent en la signant », la charte répond, selon le Maire de Bois-Guillaume, au besoin de la commune « de fixer les règles du jeu » en permettant « de trouver un point d’équilibre entre les intérêts des opérateurs immobiliers (…) et l’intérêt général de la ville (…) ».

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Bien mal lui en a pris, puisque le tribunal administratif, saisi par le préfet de la Seine-Maritime d’un déféré, vient d’annuler la délibération en cause.

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UNE COMMUNE MEMBRE D’UNE MÉTROPOLE OU D’UN EPCI COMPÉTENT EN MATIÈRE DE PLU N’A PAS COMPÉTENCE POUR APPROUVER UNE CHARTE

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A l’appui de sa requête, le représentant de l’État dans le département a tout d’abord soutenu que cette délibération a été prise par une autorité incompétente. Ce premier moyen est accueilli par le tribunal. En effet, aux termes de dispositions de l’article L 5217-2 du CGCT, la métropole exerce une compétence de plein droit, et en lieu et place des communes membres, en matière d’aménagement de l’espace métropolitain et notamment de PLU. Or, en fixant des « engagements » qui doivent « être scrupuleusement appréhendés dans chaque opération » par les opérateurs immobiliers qui y adhérent, la Charte de l’urbanisme et du cadre de vie doit « être regardée comme imposant aux opérateurs immobiliers concernés des règles impératives en matière d’aménagement de l’espace métropolitain, au sens des dispositions précitées de l’article L. 5217-2 du CGCT, relevant, par leur nature, du PLU ». Il s’ensuit que la Commune de Bois-Guillaume n’était pas compétente pour adopter de telles prescriptions en matière d’urbanisme qui relèvent de la compétence exclusive de la Métropole, étant précisé que cette charte prévoit que « la Ville de Bois-Guillaume engage les opérateurs immobiliers » notamment à :

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  • Proposer des opérations cohérentes avec le type de logements existants, en termes de volumétrie, de densité et de hauteur ;
  • Cibler le développement urbain sur les secteurs de projets définis par la collectivité publique ;
  • Créer des projets durables en facilitant l’entretien du bâti ;
  • Prévoir une bonne gestion et une bonne intégration des espaces extérieurs privatifs ;
  • Assurer une qualité d’habiter en prenant en compte l’orientation, l’ensoleillement et le confort thermique ;
  • Privilégier l’utilisation de matériaux de qualité et résistants ;
  • Prévoir des espèces locales qui favorisent la biodiversité.

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LA CHARTE NE PEUT PAS LÉGALEMENT IMPOSER LE RESPECT DE RÈGLES DE FORME ET DE PROCÉDURE NON PRÉVUES PAR LE CODE DE L’URBANISME

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Le préfet a ensuite reproché à la Commune de Bois-Guillaume d’avoir créé de nouvelles normes « s’imposant aux demandes d’autorisation d’urbanisme présentées par des opérateurs immobiliers, alors que seules les dispositions normatives prévues et encadrées par la loi peuvent réglementer l’instruction des autorisations d’urbanisme ». Là encore, cet argument a fait mouche. Le tribunal rappelle, en effet, qu’il résulte des dispositions du Code de l’urbanisme (art. L 423-1 et R 431-4) que les demandes d’autorisations d’urbanisme ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires dudit code, qui définissent de manière limitative les informations ou pièces qui sont susceptibles d’être demandées par l’autorité compétente. Or en l’espèce, la Charte de l’urbanisme et du cadre de vie de la Commune de Bois-Guillaume impose aux opérateurs immobiliers, qui ont accepté de la signer, des règles impératives relatives à la conception et à la réalisation des projets de construction, relevant, par leur nature, de la loi ou du règlement. Ainsi, elle prévoit notamment :

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  • une phase de prospection et de repérage foncier, au cours de laquelle l’opérateur immobilier est notamment tenu : dès l’identification d’une emprise foncière, de prendre rendez-vous avec les élus et les services de la commune afin de présenter une étude de faisabilité ainsi qu’une évaluation des impacts du projet sur l’environnement ; et, ensuite, d’exposer ses hypothèses de bilan financier au stade de l’avant-projet de construction ;

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  • une phase de projet/conception lors de laquelle l’opérateur immobilier est tenu : de présenter le projet architectural, le programme et le prix moyen de l’opération ; et pour les projets comportant 30 logements et plus, de se soumettre à un jury d’architectes auquel la ville sera associée.

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Le tribunal considère, comme nous le suggérions déjà (v. D. Gillig, A chacun sa charte, Constr-urb. 2022, alerte 75), que de telles prescriptions d’urbanisme ne peuvent être imposées par la commune, qui n’a aucune compétence en la matière.

« En l’espèce, la Charte de l’urbanisme et du cadre de vie de la Commune de Bois-Guillaume impose aux opérateurs immobiliers, qui ont accepté de la signer, des règles impératives relatives à la conception et à la réalisation des projets de construction, relevant, par leur nature, de la loi ou du règlement. »

David GILLIG, Avocat

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La solution retenue par les juges rouennais doit être approuvée sans restriction. Elle constitue un très sérieux signal donné aux élus qui seraient tentés de doter leur commune d’une charte destinée à encadrer les conditions dans lesquelles les projets de construction doivent être conçus, présentés et réalisés par les opérateurs. Le jugement du 26 janvier 2023 vient leur rappeler sans ambages qu’ils n’ont pas compétence pour fixer, par le biais de chartes, des prescriptions d’urbanisme en dehors du cadre législatif et réglementaire défini par le Code de l’urbanisme.

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« Il faut espérer que d’autres préfets s’engageront dans la même voie dans l’ensemble des départements où des chartes sont adoptées par des communes en toute illégalité. Cela évitera aux opérateurs immobiliers de saisir eux-mêmes le tribunal avec le risque inhérent de s’exposer à d’éventuelles représailles de la part des communes mises en cause. »

David GILLIG, Avocat

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On ne peut que se réjouir que ce soit à l’initiative du représentant de l’État dans le département de la Seine-Maritime que l’annulation de délibération approuvant la Charte de l’urbanisme et du cadre de vie de la Commune de Bois-Guillaume a été prononcée. Il faut espérer que d’autres préfets s’engageront dans la même voie dans l’ensemble des départements où des chartes sont adoptées par des communes en toute illégalité. Cela évitera aux opérateurs immobiliers de saisir eux-mêmes le tribunal avec le risque inhérent de s’exposer à d’éventuelles représailles de la part des communes mises en cause (sur ce point, v. D. Gillig, Les chartes promoteurs interfèrent dans le jeu du marché, entretien, Moniteur des travaux publics, 25 novembre 2022).

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MÊME LES CHARTES DÉJÀ APPROUVÉES DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES SONT SUSCEPTIBLES D’ÊTRE REMISES EN CAUSE

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On soulignera en conclusion que les chartes déjà approuvées par des délibérations qui sont devenues définitives, faute d’avoir été contestées dans le délai du recours contentieux, ne sont pas à l’abri d’une éventuelle remise en cause. En effet, ces délibérations constituent un acte réglementaire. Or, aux termes de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration, celle-ci est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal. Par suite, un refus express ou implicite de procéder à l’abrogation de la délibération approuvant une charte pourra être censuré par le juge administratif si ce dernier considère que cette délibération est entachée d’illégalité. Saisi de conclusions à fin d’injonction, le tribunal pourra même ordonner le cas échant à l’autorité administrative de procéder à l’abrogation de la délibération en cause (v. pour un exemple récent : TA Montreuil, 6 oct. 2022, n° 2112919).

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Pour lire le jugement, c’est ici :

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David GILLIG

Le 07 février 2023

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