1.
Jusqu’à une période très récente, la question du financement des travaux d’extension du réseau public de distribution électrique était assez simple, et son régime juridique très favorable aux communes, lorsque le raccordement d’une construction soumise à une autorisation d’urbanisme excédait 100 mètres.
2.
En effet, aux termes de l’article L 111-11 du Code de l’urbanisme, actuellement en vigueur : « Lorsque, compte tenu de la destination de la construction (…), des travaux portant sur les réseaux publics (…) de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire (…) ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés ».
3.
La jurisprudence (v. arrêt de principe : CE, 4 mars 2009, n° 303867) considère que « ces dispositions poursuivent notamment le but d’intérêt général d’éviter à la collectivité publique ou au concessionnaire d’être contraints, par le seul effet d’une initiative privée, de réaliser des travaux d’extension ou de renforcement des réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou d’électricité et de garantir leur cohérence et leur bon fonctionnement, en prenant en compte les perspectives d’urbanisation et de développement de la collectivité. Il en résulte qu’un permis de construire ne peut être délivré lorsque, d’une part, des travaux d’extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d’autre part, l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation » (pour une application récente de cette solution, v. par exemple TA Nîmes, 2 janvier 2024, n° 2300008).
4.
Elle considère également que lorsque le raccordement au réseau public d’électricité n’excède pas 100 mètres, la desserte du projet « ne nécessite pas une extension ou un renforcement du réseau public de distribution d’électricité » permettant à l’autorité compétente de refuser le permis de construire sur la base de l’article L 111-11 précité, « mais uniquement des équipements propres à l’opération à la charge financière » du pétitionnaire (pour une illustration récente de cette solution, v. par exemple CAA Marseille, 22 juin 2023, n° 22MA02596).
Cette solution repose sur les dispositions de l’article L 332-15 du Code de l’urbanisme, aux termes duquel « l’autorisation peut (…) avec l’accord du demandeur et dans les conditions définies par l’autorité organisatrice du service public (…) de l’électricité, prévoir un raccordement aux réseaux (…) d’électricité empruntant, en tout ou partie, des voies ou emprises publiques, sous réserve que ce raccordement n’excède pas cent mètres et que les réseaux correspondants, dimensionnés pour correspondre exclusivement aux besoins du projet, ne soient pas destinés à desservir d’autres constructions existantes ou future ».
En effet, il résulte de ces dispositions que « pour l’alimentation en électricité, relèvent des équipements propres à l’opération ceux qui sont nécessaires à la viabilité et à l’équipement de la construction ou du terrain jusqu’au branchement sur le réseau public d’électricité qui existe au droit du terrain, en empruntant, le cas échéant, des voies privées ou en usant de servitudes, ou, dans les conditions définies au troisième alinéa de l’article L 332-15, en empruntant, en tout ou partie, des voies ou emprises publiques, sous réserve dans ce dernier cas que le raccordement n’excède pas cent mètres. En revanche, pour l’application de ces dispositions, les autres équipements de raccordement aux réseaux publics d’électricité, notamment les ouvrages d’extension ou de branchement en basse tension, et, le cas échéant, le renforcement des réseaux existants, ont le caractère d’équipements publics » (pour une application récente de cette solution, v. par exemple TA Toulouse, 28 décembre 2023, n° 2307447).
En revanche, lorsque le raccordement au réseau public d’électricité excède 100 mètres, l’autorité compétente est tenue de refuser de délivrer le permis de construire demandé en se fondant sur les dispositions précitées de l’article L 111-11 du Code de l’urbanisme précitées si elle n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public les travaux doivent être exécutés (pour une application récente de cette solution, v. par exemple TA Grenoble, 21 septembre 2023, n° 2100260).
Bon nombre de communes se fondent sur les dispositions de l’article L 111-11 du Code de l’urbanisme, chaque fois que le raccordement au réseau public d’électricité excédait 100 m, et alors même que le coût de l’extension mis à leur charge n’est pas trop élevé (v. par exemple TA Nice, 6 décembre 2023, n° 2000321).
5.
La donne pourrait changer avec l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code de l’énergie issues de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et de l’ordonnance n°2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité.
Interrogé par un parlementaire sur le cas d’une commune qui, après réception d’un devis d’ENEDIS d’un montant d’environ 10.000 euros HT mis à la charge d’un promoteur immobilier, a dû s’acquitter du paiement d’une somme de plus de 32.000 € TTC facturés par le concessionnaire du réseau public de distribution d’électricité, le ministère chargé du logement a indiqué très récemment que :
« Les articles 26 et 29 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables modifient la prise en charge de la part de contribution correspondant à l’extension du réseau électrique située en dehors du terrain d’assiette de l’opération. Depuis le 10 septembre 2023, il revient au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme de s’acquitter désormais de la contribution prévue dans le code de l’énergie pour tous les travaux d’extension rendus nécessaires par un raccordement. Toutefois, les dispositions de l’article L.332-15 du code de l’urbanisme notamment son alinéa 3 n’ont pu être modifiées par l’ordonnance et ne sont plus en cohérence avec les dispositions du code de l’énergie, l’article d’habilitation ne permettant que des modifications visant le code de l’énergie. En attendant une modification législative du code de l’urbanisme dont l’élaboration est en cours, le critère des 100 mètres prévu à l’alinéa 4 de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme n’est plus à prendre en compte, dans le cadre de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme, pour déterminer la personne qui doit assurer le financement de l’extension du réseau électrique en dehors du terrain d’assiette du projet. Cette suppression ne concerne en revanche que les raccordements électriques, et pas les réseaux d’eau. S’agissant de la situation de la commune de Montussan, le devis étant antérieur à la date du 10 septembre, la commune aurait en effet dû s’acquitter de l’opération en cas de délivrance du permis ».
Il résulte donc très clairement de cette réponse ministérielle que depuis le 10 septembre 2023, seul le demandeur d’une autorisation d’urbanisme est débiteur de la contribution prévue par le Code de l’énergie pour tous les travaux d’extension du réseau public d’électricité rendus nécessaires par son opération.
6.
Si la solution retenue par le ministère chargé du logement nous semble juridiquement exacte, sa justification dans la réponse est pour le moins laconique et mérite d’être très largement approfondie.
7.
Dans le cadre de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, qui est entrée en vigueur le 10 septembre 2023, le Gouvernement a procédé à une clarification des dispositions relatives à la répartition du coût des travaux d’extension des réseaux publics de distribution d’électricité.
En effet, antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, l’article L 342-11 du Code de l’énergie était ainsi rédigé :
« La contribution prévue à l’article L. 342-6 pour le raccordement des consommateurs au réseau de distribution est versée, dans des conditions, notamment de délais, fixées par les cahiers des charges des concessions ou les règlements de service des régies ou, à défaut, par décret en Conseil d’Etat, par les redevables mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° suivants :
1° Lorsque l’extension est rendue nécessaire par une opération ayant fait l’objet d’un permis de construire, d’un permis d’aménager ou d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable, située en dehors d’une zone d’aménagement concerté et ne donnant pas lieu à la participation spécifique pour la réalisation d’équipements publics exceptionnels ou à la participation pour voirie et réseaux mentionnées à l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme, la contribution correspondant aux équipements mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme est versée par le bénéficiaire du permis ou de la décision de non-opposition.
La part de contribution correspondant à l’extension située hors du terrain d’assiette de l’opération reste due par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour la perception des participations d’urbanisme ».
Cette rédaction a changé à partir du 10 septembre 2023, puisque le 2ème alinéa de l’article L 342-11 du Code de l’énergie (selon lequel « la part de contribution correspondant à l’extension située hors du terrain d’assiette de l’opération reste due par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour la perception des participations d’urbanisme ») a purement et simplement été supprimé.
Depuis le 10 septembre 2023, les communes n’ont donc plus à contribuer aux travaux d’extension du réseau public de distribution d’électricité rendus nécessaires par une opération de construction soumise à une autorisation d’urbanisme.
8.
Par ailleurs, l’article 26, 3° de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a habilité le Gouvernement, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de cette loi, toute mesure relevant du domaine de la loi pour modifier le code de l’énergie afin « de clarifier les modalités de prise en charge des coûts de raccordement au réseau par les redevables de la contribution au titre du raccordement ».
Ce même article prévoit qu’un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance que le Gouvernement est habilité à prendre.
Cette ordonnance a été prise le 23 août 2023 (Ordonnance n°2023-816 du 23 août 2023).
Son article 3 introduit dans le Code de l’énergie un nouvel article L 342-21, qui reprend in extenso les anciennes dispositions de l’article L 342-11 dans leur rédaction issue de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, tout en ajoutant la disposition suivante :
« Le demandeur d’un raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité est le redevable de la contribution ».
Conformément à l’article 7 de l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023, ces dispositions sont entrées en vigueur le 10 novembre 2023.
9.
La difficulté tient à ce que si la loi du 30 mars 2023 a supprimé la contribution des communes au coût de l’extension des réseaux publics de distribution d’électricité et que l’ordonnance du 23 août 2023 a mis cette contribution à la charge du demandeur du raccordement au réseau public, ces textes n’ont pas supprimé les dispositions de l’article L 332-15 du Code de l’urbanisme, aux termes duquel :
« […] en ce qui concerne le réseau électrique, le bénéficiaire du permis ou de la décision de non-opposition est redevable de la part de la contribution prévue au troisième alinéa du II de l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, correspondant au branchement et à la fraction de l’extension du réseau située sur le terrain d’assiette de l’opération, au sens de cette même loi et des textes pris pour son application.
L’autorisation peut également, avec l’accord du demandeur et dans les conditions définies par l’autorité organisatrice du service public (…) de l’électricité, prévoir un raccordement aux réseaux (…) d’électricité empruntant, en tout ou partie, des voies ou emprises publiques, sous réserve que ce raccordement n’excède pas cent mètres et que les réseaux correspondants, dimensionnés pour correspondre exclusivement aux besoins du projet, ne soient pas destinés à desservir d’autres constructions existantes ou future ».
Le nouvel article L 342-21 du Code de l’énergie est donc en contradiction avec l’article L 332-15 du Code de l’urbanisme, puisque :
- le premier article met à la charge du demandeur l’intégralité de la contribution à l’extension du réseau public de distribution d’électricité,
- quand le second lui impose seulement de prendre en charge une part de cette contribution.
10.
La question se pose donc de savoir si les dispositions de l’article L 332-15 du Code de l’urbanisme sont toujours en vigueur, dans l’attente de la promulgation de la loi de ratification de l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023, et si, par suite, elles peuvent être invoquées par le pétitionnaire pour échapper au paiement intégral de la contribution à l’extension du réseau public de distribution d’électricité.
La jurisprudence du Conseil Constitutionnel permet de résoudre cette problématique.
En effet, dans une décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 (Force 5), le juge constitutionnel a posé le principe selon lequelsi les dispositions d’une ordonnance acquièrent valeur législative à compter de sa signature lorsqu’elles ont été ratifiées par le législateur, elles doivent être regardées, dès l’expiration du délai de l’habilitation et dans les matières qui sont du domaine législatif, comme des dispositions législatives dès lors qu’un projet de loi de ratification a été déposé dans le délai d’habilitation initialement fixé et que celui-ci est échu (v. également Cons. Const., décision n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A. et autre).
En l’espèce, l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 n’a pas été ratifiée à ce jour.
En revanche, un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été enregistré le 8 novembre 2023 à la Présidence de l’Assemblée Nationale, soit dans le délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance prévu par l’article 26 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (v.
Il en résulte que les nouvelles dispositions de l’article L 342-21 du Code de l’énergie doivent être regardées comme des dispositions de valeur législative dont il convient de faire application depuis le 10 novembre 2023, conformément à l’article 7 de l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023.
Par suite, le demandeur du raccordement doit désormais supporter l’intégralité de la contribution due pour l’extension du réseau public de distribution d’électricité.
Pour être totalement complet, l’on relèvera que le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023‑816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité prévoit :
- de supprimer purement et simplement le 3ème alinéa de l’article L 332-15 du Code de l’urbanisme, aux termes duquel : « Toutefois, en ce qui concerne le réseau électrique, le bénéficiaire du permis ou de la décision de non-opposition est redevable de la part de la contribution prévue au troisième alinéa du II de l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 (1) relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, correspondant au branchement et à la fraction de l’extension du réseau située sur le terrain d’assiette de l’opération, au sens de cette même loi et des textes pris pour son application » ;
- de modifier le 4ème alinéa du même article comme suit : « L’autorisation peut également, avec l’accord du demandeur et dans les conditions définies par l’autorité organisatrice du service public de l’eau [ou de l’électricité – SUPPRIME], prévoir un raccordement aux réseaux d’eau [ou d’électricité – SUPPRIME] empruntant, en tout ou partie, des voies ou emprises publiques, sous réserve que ce raccordement n’excède pas cent mètres et que les réseaux correspondants, dimensionnés pour correspondre exclusivement aux besoins du projet, ne soient pas destinés à desservir d’autres constructions existantes ou futures » ;
- de créer un nouvel article L 332-17 dans le Code de l’urbanisme, aux termes duquel : « En ce qui concerne le réseau électrique, la contribution prévue à l’article L. 342‑12 du code de l’énergie est versée par le bénéficiaire du permis ou de la décision de non‑opposition dans les conditions fixées par l’article L. 342‑21 du même code ».
David GILLIG, le 2 février 2024