Cette garantie légale, introduite par la loi n° 94-112 du 9 février 1994 (dite loi Bosson) dans le Code de l’urbanisme sous l’article L 600-2, s’applique-t-elle lorsque la demande de permis de construire confirmée après l’annulation juridictionnelle du refus de permis de construire ne porte pas strictement sur le même projet que celui-ci ayant abouti à ce refus ?
C’est cette question inédite que le Conseil d’État a tranchée dans son arrêt du 14 décembre 2022, aux conclusions contraires de son rapporteur public, Nicolas AGNOUX.
Selon ce dernier, deux positions extrêmes pouvaient s’affronter, mais aucune d’entre-elles n’est satisfaisante.
La première, qui repose sur le principe selon lequel la règle de cristallisation du droit antérieur posée par l’article L 600-2 du Code de l’urbanisme déroge au droit commun de sorte qu’elle doit être d’application stricte, consisterait à admettre que le pétitionnaire perd le bénéfice de cette règle dès lors qu’il apporte des ajustements, mêmes minimes, au projet initialement refusé. Le rapporteur public a toutefois proposé d’écarter cette première solution, compte tenu de son caractère « à la fois excessivement sévère et peu réaliste ». Comme M. Agnoux l’a exposé, « compte tenu notamment des délais de jugement, a fortiori si le litige a donné lieu à un appel voire à un pourvoi en cassation, les circonstances de fait ont pu évoluer depuis la demande de permis initial et justifier des amendements ponctuels. Une telle rigidité serait même contreproductive en termes de légalité puisqu’elle ferait obstacle à ce que le projet soit modifié, dans l’intérêt de tous, dans un sens plus conforme aux nouvelles règles d’urbanisme ».
La seconde, beaucoup plus libérale, aboutirait à considérer que la nouvelle demande déposée par le pétitionnaire puisse être amendée par rapport au projet initialement refusé, « dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». Cette solution reviendrait donc à transposer à l’article L 600-2 du Code de l’urbanisme la définition que la Haute-Juridiction a très récemment consacrée à propos du champ d’application matérielle du permis de construire modificatif (CE, 26 juillet 2022, n° 437765) après l’avoir déjà retenue en ce qui concerne les mesures de régularisations susceptibles d’être mises en œuvre par le juge du contentieux des autorisations d’urbanisme sur le fondement des dispositions de l’article L 600-5 du Code de l’urbanisme (CE, avis, 2 octobre 2020, n° 438318). Le rapporteur public a également proposé aux juges du Palais Royal d’écarter cette seconde option, parce que, d’une part, elle est contra legem et, d’autre part, elle produirait un important effet d’aubaine en permettant au pétitionnaire de bénéficier de la cristallisation du droit antérieur en faveur d’un projet de construction sensiblement différent de celui ayant été refusé initialement.
M. Agnoux a donc proposé une voie médiane, consistant à permettre au pétitionnaire de modifier son projet à condition que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même et sous réserve qu’elles ne conduisent pas à porter aux règles d’urbanisme intervenues postérieurement à l’annulation du refus de permis de construire une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du projet initialement prévu. Cette solution s’inspire directement de la jurisprudence LE ROY selon laquelle l’autorité compétente en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme ne peut, sans méconnaître les droits acquis par le permis de construire initial devenu définitif, refuser de délivrer un permis de construire modificatif pour un motif étranger aux modifications apportées au projet antérieurement autorisé (CE, Sect., 26 juillet 1982, n° 23604).
Cette proposition n’a pas été suivie par le Conseil d’État.
En effet, la Haute-Juridiction s’en est tenue à une interprétation stricte des dispositions de l’article L 600-2 du Code de l’urbanisme dictée par leur caractère dérogatoire. Dès lors que la demande de permis de construire, faisant suite à l’annulation définitive d’un précédent refus de permis de construire implique « une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels », elle doit être regardée comme « une demande portant sur un nouveau projet » et non comme une simple confirmation de la demande d’autorisation initiale. Par suite, cette nouvelle demande ne bénéficie pas de la cristallisation du droit antérieur mais doit être instruite au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle l’autorité administrative compétente statue. Ainsi, la garantie légale posée par l’article L 600-2 du Code de l’urbanisme ne vaut que lorsque la demande porte sur un projet strictement identique à celui ayant donné lieu au refus de permis de construire annulé ou qu’elle comporte des modifications d’une ampleur très limitée par rapport au projet initial.
Ce faisant, le Conseil d’État confirme, tout en précisant les contours, la jurisprudence Sàrl Côte d’Opale de 2017, selon laquelle « l’autorité administrative compétente doit, sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que le pétitionnaire ne dépose pas une demande d’autorisation portant sur un nouveau projet, réexaminer la demande initiale sur le fondement des dispositions d’urbanisme applicables à la date de la décision annulée, en application de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme » (CE, 23 février 2017, n° 395274).
David GILLIG
Le 2 janvier 2023