Un maraicher bucco-rhodanien a déposé une demande de permis de construire pour un hangar agricole, un abri pour matériel agricole et – élément qui nous intéresse ici – une maison d’habitation sur un terrain situé sur le ban de la Commune de CHÂTEAURENARD.
Ce terrain étant le siège de son exploitation où – l’ordonnance d’appel nous renseigne – il exploite plusieurs hectares « affectés à la culture de courgettes, tomates, épinards, persil, blettes et aubergines ». En toute logique, le règlement graphique du PLU communal l’a classé en zone A.
Le permis sollicité a été accordé par arrêté du Maire.
Le Préfet des Bouches-du-Rhône a alors saisi le Tribunal administratif de Marseille sur le fondement de l’article L. 554-1 du Code de justice administrative (le fameux « déféré-suspension ») pour solliciter la suspension de ce permis. Dans son ordonnance rendue en première instance, le juge des référés fait droit à la requête préfectorale en estimant qu’existait « un doute sérieux » quant à la légalité de cette autorisation de construire en zone agricole au motif que la construction d’un logement n’apparaissait pas nécessaire à l’exploitation.
Le maraicher pétitionnaire fait appel de cette décision devant la CAA de Marseille qui aura l’occasion de rendre la décision qui nous intéresse ici.
Selon lui, deux éléments étaient de nature à rendre indispensable une présence permanente sur les lieux de son exploitation :
- d’une part, la gestion du système d’irrigation de ses plantation et de chauffage de ses serres ;
- d’autre part, le fait qu’il avait été victime de plusieurs vols de ses productions maraichères.
Hélas pour lui, aucun de ces motifs n’a été jugé comme suffisant pour emporter l’annulation de l’ordonnance rendue par le tribunal.
Le PLU de CHATEAURENARD prévoit qu’en zone A, seules sont autorisées « les constructions à usage d’habitation strictement liées et rendues nécessaires à l’exercice ou au maintien de l’exploitation indispensables au logement de l’exploitant et des employés, dans une limite de 200m² de surface de plancher ». Cette disposition fait écho à l’article R.151-23 du Code de l’urbanisme qui permet justement aux auteurs de PLU d’autoriser en zone agricole des constructions qui sont uniquement « nécessaires à l’exploitation agricole ».
En matière contentieuse, ce critère de « nécessité » fonde une grande partie du pouvoir du juge, comme en témoigne la jurisprudence abondante sur la question (V. par exemple Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 12 juillet 2019, 422542 ; Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 5 octobre 2018, n° 409239).
Afin de déterminer le caractère indispensable ou non d’une telle construction, le juge de la légalité est tenu de porter une appréciation in concreto sur la situation qui lui est soumise :
- en contrôlant, dans un premier temps, la réalité de l’exploitation agricole (Cour administrative d’appel de Lyon, 5e chambre, 3 octobre 2019, n° 19LY00650) ;
- et, dans un deuxième temps, en prenant en « compte à la fois les caractéristiques et les exigences de l’activité, selon la nature notamment des cultures, et les modalités d’organisation de l’exploitation » (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 1ère chambre – formation à 3, 26 juin 2008, 06MA02194, Inédit au recueil Lebon).
En l’espèce, il a été jugé par la CAA de Marseille que ce second critère faisait défaut.
En effet, si le juge d’appel n’a eu aucun mal à relever que l’exploitation maraichère était bien réelle dans la mesure où le pétitionnaire assurait effectivement les fonctions de « chef d’une exploitation agricole de 2,59 hectares, dont 1,49 hectare en cultures spécialisées (…) », ce dernier n’a pas été en mesure de justifier que sa présence permanente sur place était rendue nécessaire par l’existence de larcins et de contraintes liées au système d’arrosage et de chauffage de ses serres.
La Cour relève à cet égard que le maraicher-pétitionnaire « n’établit ni la réalité de ces faits, ni que seule la construction de son logement sur son lieu d’exploitation serait de nature à assurer la sécurité et le bon fonctionnement de l’exploitation ». Et qu’ainsi « il ne justifie pas que la construction d’une habitation sur place est liée et nécessaire à l’exploitation agricole ».
Dans ce cas d’espèce, la CAA écarte des considérations liées à la sécurité du matériel agricole et des productions maraichères pour estimer que le juge de première instance avait, à bon droit, suspendu le permis en litige.
Cette décision illustre, selon nous, un raidissement en cours de l’application de la législation d’urbanisme sur les constructions à usage d’habitation en milieu agricole. L’urgence étant, on le sait, à la préservation des terres affectées en zone A (V. en ce sens, l’étude de D. GILLIG, publiée le 2 mars 2021 au JurisClasseur Rural, Fascicule n°90 – URBANISME – Constructions en zone agricole).
Notons qu’au-delà de l’interprétation du juge, ce raidissement est perceptible dans l’attitude du préfet qui n’a pas hésité à déférer ce permis devant le juge de la légalité. Les pouvoirs publics semblant de moins en moins enclins à permettre la réalisation de ces projets consommateurs de foncier agricole.
Pour lire la décision, c’est ici : Cour Administrative d’Appel de Marseille, n°21MA00278, du 25 mars 2021
Matthieu PRIMUS
le 19 mai 2021