[JURISPRUDENCE] LE CONSEIL D’ÉTAT FIXE À 10 ANS LA PRESCRIPTION DE L’ACTION EN RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE DU MAITRE DE L’OUVRAGE CONTRE LE MAITRE D’ŒUVRE (CE, 12 AVRIL 2022, SOCIÉTÉ AREST, N° 448946)

Dans une décision du 12 avril 2022 (CE, 12.04.2022, n°448946), le Conseil d’État est venu préciser le délai de prescription du maître de l'ouvrage à l'encontre du maître d’œuvre en matière de responsabilité contractuelle.

L’article 1792-4-3 du Code civil, créé par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose : « En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. »

Il en résulte que les actions en responsabilité contractuelle dirigées par les maîtres d’ouvrage privés contre les constructeurs et leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception, par exception aux dispositions de droit commun de l’article 2224 du Code civil, fixant la prescription de la responsabilité contractuelle classique à 5 ans à compter de la manifestation du dommage.

En droit administratif, on sait que la responsabilité contractuelle s’éteint en principe avec la réception des travaux. Si ce principe connaît quelques exceptions (au nombre desquelles l’engagement de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception), la rareté des hypothèses de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle des constructeurs après réception explique que le Conseil d’État ne se soit pas, jusqu’à très récemment, prononcé sur l’application de l’article 1792-4-3 du Code civil.

La Haute juridiction s’était prononcée en 2020 en faveur d’un délai trentenaire, en ce qui concerne l’action en responsabilité contractuelle engagée par un maître d’ouvrage contre son maître d’œuvre, suite à une réception prononcée avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 (CE, 10/12/2020, n° 432783).

Par son arrêt du 12 avril 2022, n° 448946, le Conseil d’État, saisi d’une affaire dans laquelle la réception avait eu lieu après l’entrée en vigueur de la réforme de 2008, fait application de l’article 1792-4-3 pour la première fois à notre connaissance, confirmant ainsi la prescription décennale des actions en responsabilité contractuelle engagées par le maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs.

Ce faisant, le Conseil d’État unifie sa position avec celle des juridictions civiles, en même temps qu’il uniformise les délais des actions ouvertes au maître d’ouvrage après réception.

En outre, faisant preuve de pédagogie, le Conseil d’État règle immédiatement la question du champ d’application de l’article 1792-4-3 du Code civil, qui avait entrainé des débats houleux devant les juridictions civiles.

Certains plaideurs s’étaient en effet emparés de l’article 1792-4-3 du Code civil pour soutenir que le délai de 10 ans à compter de la réception serait également applicable aux actions entre coobligés. En effet, les termes de l’article précité laissent place à l’ambigüité, puisque ce dernier ne mentionne que les « actions en responsabilité », sans préciser qui est le titulaire de ces actions (le maître d’ouvrage seulement ou tous les participants à une opérations de construction ?).

Certaines cours d’appel de l’ordre judiciaire ont pu estimer que toutes les actions contractuelles dirigées contre un constructeur étaient soumises à un délai de 10 ans.

La Cour de cassation est venue mettre un terme à cette interprétation, précisant que l’article 1792-4-3 du Code civil était inséré dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, et n’avait donc « vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants ». Elle précisait en outre que « fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître de l’ouvrage en fin de délai d’épreuve, du droit d’accès à un juge » (Cass 3ème, 16/01/2020 , n° 18-25.915).

Les actions en responsabilité contractuelles dirigées par un constructeur contre un autre constructeurs sont donc exclues du champ d’application de l’article 1792-4-3 du code civil et relèvent de la prescription quinquennale de l’article 2224 du même code.

Le Conseil d’État règle directement cette question, en adoptant la même position que la Cour de cassation :

« 3. En second lieu, d’une part, aux termes de l’article 2224 du code civil :  » Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer « . Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève de ces dispositions et se prescrit, en conséquence, par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Il est cependant précisé que, si la Haute juridiction ne s’était jamais prononcée sur ce point, les jurisprudences des cours administratives d’appels n’ont jamais semblé accorder foi à l’interprétation selon laquelle le délai décennal pourrait être applicable entre constructeurs (voir : CAA Douai 10 Avril 2012, n° 10DA01686 ; CAA Nantes, 6 Janvier 2017, n° 15NT03196), de sorte que le Conseil d’État ne fait, sur ce dernier point, que confirmer une position bien établie.

En résumé, en droit administratif comme en droit civil :

  • Les actions en responsabilité contractuelle intentées par le maître d’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants se prescrivent par 10 ans à compter de la réception, en application des dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil ;
  • Les actions en responsabilité contractuelles des constructeurs entre eux se prescrivent par 5 ans à compter de la manifestation du dommage, en application des dispositions de l’article 2224 du Code civil.

Pour lire la décision, c’est ici : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045570229?isSuggest=true

Pauline SCHULTZ

Le 4 mai 2022

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