Aux termes du 1° de l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme, le propriétaire d’une construction qui a été édifiée conformément à un permis de construire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative.
Que faut-il entendre par « méconnaissance des règles d’urbanisme » ? C’est cette question inédite que la Cour de Cassation a tranchée dans son arrêt du 11 janvier 2023 dans un sens très défavorable aux constructeurs, à l’occasion d’un contentieux vieux de près de 10 ans portant sur l’implantation d’un parc éolien dans une commune de l’Hérault.
Dans cette affaire, le préfet avait délivré à l’exploitant d’une centrale éolienne un permis de construire l’autorisant à édifier sept aérogénérateurs sur un terrain situé dans le Massif de l’Escandorgue.
Sur requête de plusieurs associations de défense de l’environnement, ce permis de construire a été annulé par un arrêt définitif de la Cour administrative d’appel de Marseille rendu en 2017. Cette annulation a été fondée sur l’insuffisance de l’étude d’impact jointe au dossier de demande de permis de construire. La cour a en effet considéré que « cette insuffisance de l’étude d’impact, qui a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population et a été de nature à exercer une influence sur la décision du préfet de l’Hérault, entache d’illégalité la procédure au terme de laquelle le permis de construire en litige a été délivré ».
Par la suite, les associations de défense de l’environnement ont fait assigner le bénéficiaire du permis de construire devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins d’obtenir, sur le fondement des dispositions du 1° de l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme, la démolition du parc éolien qui avait été édifié antérieurement à l’annulation de cette autorisation d’urbanisme.
Le tribunal judiciaire a fait droit à cette demande. Par un jugement de 2021, il a condamné l’exploitant du parc éolien à remettre les lieux en leur état antérieur par la démolition de toutes les éoliennes et de toute installation y attachée ou nécessaire à l’exploitation (TJ Montpellier, 19 février 2021, n° RG 18/03961).
La cour d’appel de Montpellier a toutefois infirmé ce jugement au motif que la construction du parc éolien en cause n’a pas été édifiée en méconnaissance de règles d’urbanisme ou de servitudes d’utilité publique. En effet, comme le souligne la cour, l’annulation du permis de construire autorisant l’édification des aérogénérateurs a été « motivée par une insuffisance de l’étude d’impact relative à la présence d’un couple d’aigles royaux dans le massif de l’Escandorgue » (CA Montpellier, 3 juin 2021, n° 21/01649).
Ce faisant, la juridiction d’appel a opéré une distinction entre les règles de fond dont la méconnaissance est seule susceptible d’ouvrir droit à l’action en démolition prévue par l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme, et les simples règles de procédure dont la violation ne permet pas aux tiers d’engager une telle action sur le fondement de ces dispositions.
Cette solution est remise en cause par la Cour de Cassation dans la décision faisant l’objet du présent commentaire. Les juges du Quai de l’Horloge considèrent en effet qu’il résulte des dispositions combinées des articles L 480-13 du Code de l’urbanisme et 1240 du Code civil que « toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique peut servir de fondement à une action en démolition d’une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé, dès lors que le demandeur à l’action démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec cette violation ».
Selon la Cour, toute violation d’une règle d’urbanisme, qu’il s’agisse d’une règle de fond ou d’une règle de procédure, ouvre ainsi la voie à une action en démolition fondée sur les dispositions de l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme.
Cette analyse n’emporte pas notre approbation.
En effet, la notion de « règles d’urbanisme » correspond à des règles de fond instituées par des règlementations nationales (tel que le règlement national d’urbanisme, notamment) ou locales (telles que les plans locaux d’urbanisme, en particulier), qui imposent directement des contraintes aux fonds privés (Cass. 1ère Civ., 9 juin 1959, SCI La Terrasse Royale, Bull. Civ. I, n° 291). Il ne peut donc s’agir que de règles de fond, à l’exclusion de règles de procédure (v. en ce sens : D. Moreno et J.-H. Robert, Contrôle par le juge judiciaire des occupations du sol, Juriscl. Collectivités territoriales, Fasc. 1340, n° 4 ; G. Pellissier, Contentieux judiciaire de l’urbanisme, Juriscl. Collectivités territoriales, Synthèse n° 235, 1).
Fort heureusement, la solution retenue par la Cour de cassation ne devrait pas entraîner une multiplication des cas de démolitions des constructions, et ce pour au moins deux séries de raisons.
Tout d’abord, avec les pouvoirs de régularisation qui sont les siens (v. article L 600-5 et L 600-5-1 du Code de l’urbanisme), le juge du contentieux des permis de construire « sauve » de manière quasi-systématique les autorisations d’urbanisme déférées à sa censure. Les cas d’annulation de permis de construire sont devenus aujourd’hui très rares, puisque tout vice ou presque, est susceptible d’être régularisé par le biais d’un permis de construire modificatif. Or l’annulation du permis de construire est une des conditions posées par le 1° de l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme pour saisir le tribunal judiciaire d’une action en démolition.
Ensuite, et cela vient confirmer la thèse selon laquelle la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation dans la décision reproduite est tout à fait contestable au plan juridique, on rappellera que l’existence d’un lien de causalité entre la méconnaissance d’une règle d’urbanisme et le préjudice subi par le demandeur conditionne le succès de son assignation en démolition fondée sur les dispositions du 1° de l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme (Cass. 3e civ., 20 nov. 1973 : RTD civ. 1975, p. 337, note Bredin ; JCP 1974, I, 2661, chron. Morand-Deviller).
Autrement dit, le préjudice doit résulter de l’atteinte à la règle d’urbanisme et non de la seule présence de la construction (Cass. 3e civ., 3 déc. 1975 : Defrénois 1976, art. 31066, note E. Frank).
Pour que l’action en démolition puisse être accueillie par le juge civil, le demandeur doit apporter la preuve d’un préjudice résultant directement de la faute commise par le constructeur. Il appartient donc aux juges du fond de rechercher la relation de cause à effet entre cette faute et le préjudice allégué (Civ. 3e, 29 janv. 1992, n° 90-10.113, Cass. Civ. 3e, 31 mai 2000, n° 98-14.812 ; Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-18.803).
En effet, la Cour de cassation exige que le type de préjudice allégué corresponde strictement à l’intérêt protégé par la règle d’urbanisme violée. Elle a ainsi considéré qu’«une règle de prospect avait pour objet de limiter non pas la hauteur de la construction à édifier mais seulement son recul par rapport au fonds voisin (…) ; qu’elle était destinée à assurer la salubrité, l’ensoleillement de chacun des deux immeubles voisins mais était étrangère aux questions de vue et de hauteur ». Dès lors, la violation d’une règle de prospect n’est pas considérée comme la cause directe d’une privation de vue résultant du dépassement de la hauteur autorisée par un immeuble (Civ. 3e, 6 nov. 1991, Bull. civ. III, n° 268).
Or, la méconnaissance d’une règle purement procédurale (telle qu’en l’espèce la violation de l’article R 431-16 a) du Code de l’urbanisme, résultant de l’insuffisance de l’étude d’impact jointe au dossier de demande de permis de construire) ne pourra jamais constituer la cause directe du préjudice subi par le demandeur à l’action en démolition. En effet, cette règle est totalement étrangère aux préjudices qui sont susceptibles d’être subis par les tiers.
Pour lire la décision, c’est ici :
David GILLIG
Le 12 janvier 2023