En vertu de l’article R 423-14 du Code de l’urbanisme, lorsque la décision est prise au nom de la commune, le service instructeur instruit les autorisations d’urbanisme au nom et sous l’autorité du maire.
Dans un arrêt de 2015, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel « une faute commise dans le cadre de la procédure d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’est susceptible d’engager, à l’égard du pétitionnaire, que la responsabilité de la personne publique qui délivre ou refuse de délivrer l’autorisation sollicitée, quand bien même la faute entacherait un avis émis par une autre personne au cours de l’instruction de la demande » (CE, 9 nov. 2015, n° 380299 ; pour des applications récentes de cette solution, v. notamment TA Bastia, 22 décembre 2023, n° 2100773 ; TA Nantes, 2 mai 2023, n° 2002300).
Dans un arrêt antérieur, la Haute-Juridiction avait déjà consacré la solution selon laquelle :
- Si des conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre l’Etat et les collectivités territoriales pour confier aux services déconcentrés de l’Etat des travaux d’études, de direction et de surveillance de projets de ces collectivités sont des contrats de louage d’ouvrage dont l’inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat dans les conditions de droit commun ;
- A l’inverse, la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée qu’en cas de refus ou de négligence d’exécuter un ordre ou une instruction du maire lorsque la convention de mise à disposition des services de l’Etat est conclue à titre gratuit avec la commune. En effet, dans ce cas, les services de l’Etat mis à disposition agissent dans le cadre de ces conventions en concertation permanente avec le maire, qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l’exécution des tâches qui leur sont confiées, en vue de l’exercice de compétences d’instruction et de décision qu’il conserve (CE, 27 octobre 2008, n° 297432 ; pour une application de cette solution, v. par exemple CAA Nantes, 10 décembre 2019, n° 18NT02724).
Cette solution a été étendue par la cour administrative d’appel de Toulouse au cas des conventions conclues à titre onéreux et en dehors de toute obligation entre plusieurs collectivités territoriales ou entre une collectivité territoriale et un établissement public de coopération intercommunale pour mettre à disposition des services. Elle a en effet considéré qu’il s’agit de contrats de louage d’ouvrage dont l’inexécution ou la mauvaise exécution est susceptible d’engager la responsabilité de la personne morale dont dépendent ces services dans les conditions de droit commun (CAA Toulouse, 21 septembre 2023, Toulouse Métropole, n°21TL23620).
Mais même lorsque de telles conventions sont conclues, la commune qui a délivré illégalement une autorisation d’urbanisme ou refusé illégalement de délivrer celle-ci à raison d’une irrégularité commise par son service instructeur n’est pas toujours fondée à appeler en garantie ce service instructeur. Il en va ainsi notamment lorsque la convention conclue entre la commune et le service instructeur comporte une clause de renonciation à tout appel en garantie dans le cadre des contentieux indemnitaires relatifs à l’instruction des autorisations d’urbanisme (CAA Toulouse, 21 septembre 2023, Toulouse Métropole, n°21TL23620 : jugeant que la convention de mise à disposition en litige, qui prévoit le seul remboursement des frais de fonctionnement du service instructeur, si elle est conclue à titre onéreux, ne peut être regardée comme prévoyant une rémunération d’une personne physique ou morale au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 2131-10 du CGCT aux termes duquel sont illégales « les décisions et délibérations par lesquelles les communes renoncent soit directement, soit par une clause contractuelle, à exercer toute action en responsabilité à l’égard de toute personne physique ou morale qu’elles rémunèrent sous quelque forme que ce soit »).
Le risque auquel les communes s’exposent, en suivant des avis erronés ou irréguliers de leur service instructeur, doit être principalement apprécié à l’aune des conséquences qui sont susceptibles de résulter d’un refus de permis de construire au plan indemnitaire.
En effet, si le Conseil d’Etat considère « que la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation », ce droit est ouvert au pétitionnaire s’il « justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l’espèce, un caractère direct et certain ». Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu’il pouvait raisonnablement attendre de cette opération » (CE, 15 avril 2016, n° 371274 ; pour une application récente de cette solution, v. par exemple TA Versailles, 20 septembre 2024, n° 2202680 ; pour des cas d’indemnisation du préjudice subis, v. par exemple CAA Marseille, 23 avril 2024, n° 22MA03097 ; CAA Nantes, 22 novembre 2022, n° 20NT03786 ; CAA Paris, 22 avril 2024 : condamnant la Ville de Romainville à verser à la société pétitionnaire la somme de 860.000 € en réparation du préjudice de perte de loyers).
Un autre risque existe : celui de voir le pétitionnaire devenir titulaire d’un permis de construire tacite, du fait d’une demande irrégulière de pièces complémentaires et d’obtenir l’annulation d’un rejet automatique de sa demande de permis de construire.
En effet, dans un arrêt de principe de 2022, le Conseil d’Etat a considéré que « le délai d’instruction n’est ni interrompu ni modifié par une demande, en principe illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle » (CE, 9 décembre 2022, n° 454521).
Certaines juridictions du fond ont étendu cette solution au cas d’une demande tendant à compléter le dossier qui porte sur une pièce qui était exigible en application des dispositions applicables du Code de l’urbanisme, alors que les service instructeur était en mesure, au vu des pièces qui lui étaient fournies, d’instruire la demande dont il était saisi et d’apprécier en toute connaissance de cause la conformité du projet à la réglementation applicable (TA Versailles, 22 mai 2024, n° 2307688 CAA Marseille, 10 octobre 2024, n° 23MA00990).
Cette nouvelle solution, particulièrement favorable aux pétitionnaires, impose au service instructeur des demandes d’autorisation d’urbanisme de faire preuve d’une très grande prudence avant de demander à un pétitionnaire de compléter son dossier de demande.
En effet, s’il apparaît que l’administration était en mesure, au vu des pièces qui lui ont été fournies dans le dossier initial, d’instruire la demande et d’apprécier en toute connaissance de cause la conformité du projet à la réglementation applicable, le délai d’instruction ne sera ni interrompu, ni modifié par cette demande illégale.
Et dans ce cas, un permis tacite prendra naissance à l’expiration du délai d’instruction. Par suite, le rejet automatique de la demande de permis de construire (prévu par l’article R 423-39 du Code de l’urbanisme), qui résultera de l’absence de suite donnée par le pétitionnaire à la demande irrégulière de pièces complémentaires encourra la censure du tribunal (avec les conséquences pécuniaires, rappelées plus-haut, qui sont susceptibles de résulter de l’illégalité de ce refus de permis de construire).
Un récent jugement rendu par le tribunal administratif de STRASBOURG illustre cette situation (TA Strasbourg, 3 octobre 2024, n° 2201758). Dans cette affaire, sur proposition de son service instructeur, le maire de la commune d’implantation du projet de construction avait demandé à la société pétitionnaire, sur le fondement de l’article R 423-38 du Code de l’urbanisme, de compléter son dossier au motif non que ce dossier aurait été matériellement incomplet mais parce que le formulaire CERFA produit était entaché d’insuffisances.
Pour justifier sa demande, le service instructeur s’était fondé sur la double circonstance que le formulaire CERFA ne précisait pas, à la rubrique 5.7, la surface totale affectée au stationnement, dont la surface bâtie, et ne comportait pas, en fin de formulaire, le nom du déclarant (au titre de la taxe d’aménagement).
Le tribunal a toutefois considéré que la demande de complément qui a été adressée à la société pétitionnaire n’était pas fondée, de sorte que la commune ne pouvait tacitement rejeter le permis sollicité au seul motif que ladite société n’y avait pas donné suite.
En effet, d’une part, l’identité de la société pétitionnaire était indiquée dans la rubrique 1 du formulaire CERFA joint au dossier de demande de permis de construire, de même que son n° SIRET et le nom de son représentant. Par suite, l’absence de mention du nom du déclarant à la fin du formulaire CERFA, relatif à la taxe d’aménagement, n’a pas pu induire en erreur l’administration quant à l’identité du pétitionnaire.
D’autre part, ce même formulaire CERFA précisait le nombre de places de stationnement prévu par le projet en litige ainsi que la surface de plancher totale de l’opération. En outre, les informations figurant dans la notice descriptive du projet (PC 4) et dans le plan de masse (PC 2) joints au dossier de demande de permis de construire ont permis de pallier l’omission relevée à la rubrique 5.7 et d’apprécier la superficie du projet dédiée aux espaces de stationnement.
Par suite, le service instructeur était en mesure, au vu des pièces qui lui avaient été fournies, d’instruire la demande dont la commune était saisie et d’apprécier en toute connaissance de cause la conformité du projet à la réglementation applicable.
Au final, le tribunal annule le rejet tacite de la demande de permis de construire déposée par la société pétitionnaire.
Celle-ci se retrouve ainsi titulaire d’un permis de construire tacite que le maire de la commune d’implantation ne peut plus retirer, puisque le délai de retrait de trois mois prévu par l’article L 424-5 du Code de l’urbanisme est bien évidemment expiré.
Une erreur commise par le service instructeur dans l’appréciation de la complétude du dossier de demande de permet de construire permet ainsi à un pétitionnaire de se retrouver titulaire d’une autorisation d’urbanisme, qui ne peut plus être retirée par l’autorité compétente alors même que le projet ne respecterait peut-être pas l’ensemble des règles d’urbanisme (puisque le contrôle de la conformité du projet aux règles du PLU n’a pas été effectué, en l’absence de démarrage du délai d’instruction dans l’attente de la fourniture par le pétitionnaire des pièces réclamées à tort par le service instructeur).
Et si d’aventure ce pétitionnaire n’a plus la maîtrise foncière du terrain d’assiette de son opération, de sorte qu’il ne pourra pas mettre en œuvre le permis de construire tacite qui est né de l’erreur commise par le service instructeur, il sera fondé à engager la responsabilité pécuniaire de la commune.
Tout ceci doit conduire les maires à faire très attention lorsque le service instructeur leur propose de solliciter des pièces complémentaires auprès d’un pétitionnaire. L’on rappellera que le maire est seul compétent dans la commune pour délivrer les autorisations d’urbanisme lorsque la commune est couverte par un PLU. Trop souvent, les maires n’exercent pas leurs prérogatives et prennent pour parole d’évangile les propositions et avis qui sont émis par le service instructeur. Au risque de devoir assumer ensuite, seul, les conséquences juridiques mais également financières d’une demande irrégulière de pièces complémentaires.
David GILLIG