L’on sait que l’article L 411-2 du Code de l’environnement permet à l’autorité administrative de délivrer des dérogations à l’interdiction de détruire des espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats.
Le Conseil d’État a posé le cadre jurisprudentiel de l’octroi de telles dérogations en jugeant « qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » (CE, 25 mai 2018, n° 413267).
Cette solution, fréquemment mise en œuvre par le juge administratif depuis lors (v. pour des exemples récents : TA Strasbourg, 12 mai 2023, n° 1909706 ; TA Melun, 6 juill. 2023, n° 1902099), est appliquée par la cour administrative d’appel de Nancy à l’occasion d’un recours contre un arrêté préfectoral autorisant une SA d’HLM à déroger à des interdictions de capture avec relâché et de destruction de spécimens de salamandres tachetées afin de lui permettre de réaliser un programme de construction comportant soixante logements locatifs sociaux pour laquelle elle a obtenu un permis de construire.
La cour admet que ce projet privé permet de concourir à la poursuite des objectifs d’intérêt public d’aménagement durable définis en matière de mixité sociale par le programme de l’habitat durable de la Métropole dans lequel il doit être réalisé, et de politique du logement social.
Elle considère toutefois que le projet en cause « n’était pas nécessaire pour les atteindre » dès lors que la commune satisfait à la date de la décision attaquée aux exigences de la loi SRU en matière de production de logements locatifs sociaux.
Bien qu’il présente un intérêt public, le projet porté par la Société d’HLM en cause ne répond donc pas à une raison impérative d’intérêt public majeur suffisante pour justifier, en l’espèce, qu’il soit dérogé à la législation assurant la protection de la salamandre tachetée.
Plusieurs éléments ont conduit la juridiction d’appel à confirmer le jugement d’annulation rendu en 2020 par le tribunal administratif de Nancy.
Tout d’abord, la société bénéficiaire de la dérogation espèces protégées n’a pas démontré que les objectifs de production de logements locatifs sociaux ne pouvaient être atteints, si son projet n’était pas réalisé, qu’en portant atteinte à des terres agricoles environnantes.
Elle n’a pas davantage établi que la Métropole et le secteur d’implantation du projet de construction étaient exposés à « une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d’une hausse démographique prévisible et d’un besoin non satisfait ».
Enfin, il existe dans le secteur considéré plusieurs autres sites qui sont susceptibles de permettre le développement de projets de construction de logements locatifs sociaux, sans porter atteinte aux espèces protégées.
Nous n’entendons formuler aucune appréciation sur le bienfondé de la position retenue par la cour de Nancy, étant rappelé que pour l’application de l’article L 411-2 du Code de l’environnement, le Conseil d’Etat, juge de cassation, laisse à l’appréciation souveraine des juridictions du fond, sous réserve de dénaturation, le point de savoir si un projet de construction ou d’aménagement répond à une raison impérative d’intérêt public justifiant l’octroi d’une dérogation espèces protégées (CE, 15 avr. 2021, n° 430500 ; 29 juill. 2022, n° 443420).
C’est un signal fort qui est donné aux aménageurs / constructeurs qui envisagent de réaliser un projet susceptible de porter atteinte à la protection de ces espèces.
Il s’agit peut-être également d’un rappel à l’ordre à l’attention de l’autorité préfectorale qui, dans certains cas, applique de manière un peu trop libérale les conditions auxquelles une dérogation espèces protégées peut être accordée. Au demeurant, la décision du 28 septembre 2023 a donné lieu à un communiqué de presse émanant de la cour de Nancy, ce qui n’est pas si fréquent.
Pour lire l’arrêt de la Cour, c’est ici :
Le 03 octobre 2023
David GILLIG