« Le simple risque sanitaire entraine l’impropriété à destination de l’ouvrage, même en l’absence de désordre constitué : l’application de « l’impropriété-dangerosité » à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine«
Cass 3ème Civ., 14 septembre 2023, n° 22-13.858
La Cour de cassation indique que le risque pour la santé des personnes peut rendre l’ouvrage impropre à sa destination, quand bien même aucun désordre ne s’est réalisé dans le délai d’épreuve.
Était en cause un ouvrage constitué de 155 logements dont les canalisations d’eau chaude sanitaire, non conformes à la réglementation sanitaire par leur longueur anormale, favorisaient le risque de développement de légionnelles. L’assureur du sous-traitant chargé du lot plomberie faisait valoir que, malgré la non-conformité à la règlementation sanitaire, aucun désordre ne s’était révélé durant le délai d’épreuve décennal.
La Cour estime cependant que le simple risque de développement de légionnelles dans les canalisations d’eau chaude sanitaire, auxquels se trouvaient exposés les occupants, rendait à lui seul l’ouvrage impropre à sa destination.
La Cour consacre ainsi une exception au principe selon lequel une simple non-conformité sans désordre ne peut entrainer la responsabilité – contractuelle, et a fortiori décennale – des constructeurs (Cass 3ème Civ, 10 juin 2021, n° 20-15.277), au nom du critère parfois dénommé par la doctrine comme « impropriété-dangerosité ».
Un tel raisonnement a pu être tenu, dès les années 1980 et de façon constante, par les juridictions, tant civiles qu’administratives, en matière de règlementation incendie ou parasismique.
Les espèces sont toutefois plus rares en matière d’atteinte à la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine. Le cabinet SOLER COUTEAUX ET ASSOCIES avait pu faire juger en 2020 que les boursouflures et les cloques apparues sur le revêtement intérieur d’un réservoir d’eau potable, entrainant un risque de prolifération bactérienne dans une eau qui n’était pas retraitée avant distribution, étaient de nature à emporter l’impropriété à destination du réservoir d’eau, et donc la responsabilité décennale des constructeurs (CAA Nancy, 13 octobre 2020, n° 19NC00527), même en l’absence de tout désordre avéré.
La Cour avait fait droit aux prétentions de la Commune fondées sur la responsabilité décennale des constructeurs, compte tenu du « risque suffisamment établi de contamination de l’eau destinée à la consommation humaine, non filtrée en sortie du réservoir. »
Cette jurisprudence est manifestement toujours d’actualité au regard de la solution récemment dégagée par la Cour de cassation.