Traitement des données personnelles des agents publics

Le Conseil d’État se prononce sur le traitement des données personnelles des agents publics à l’occasion d’un litige relatif à la publication d’un arrêté de titularisation

Article publié le 25 juin 2021

Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 10/06/2021, 431875
Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Dans cette affaire, un agent public sollicitait l’exercice de « son droit d’opposition » prévu par l’article 38 alors applicable de la loi du 6 janvier 1978, en vue de la suppression, sur l’arrêté prononçant sa titularisation en qualité d’inspecteur des finances publiques, de données qu’il estimait présenter un caractère personnel.

L’agent soutenait que la publication de l’arrêté au Bulletin officiel des finances publiques, ainsi que sa mise en ligne sur le site internet des ministères économiques et financiers, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée.

Précisons que l’arrêté en question, outre la mention inévitable des noms et prénoms de l’agent titularisé, comportait également dans ses visas la mention des textes applicables au recrutement des travailleurs handicapés dans la fonction publique.

Le requérant estimait ainsi que, rapprochée des données relatives à son identité, cette mention aurait révélé de manière excessive sa situation de handicap.

Pour répondre à ce moyen, et de première part, le Conseil d’État admet que la publication par voie informatique d’un arrêté de nomination d’agents publics ne comportant que le nom des intéressés et l’indication du fondement juridique de leur nomination constitue un traitement de données personnelles.

La question pouvait en effet se poser de savoir si les données en question ne constituaient pas plutôt des données de santé, ce qui aurait entraîné l’application du régime juridique propre à de telles données (notamment les règles afférentes au secret médical ou encore les dispositions spécifiques relatives à l’hébergement en ligne de telles données).

Sur ce point, le Conseil d’Etat relève que « si la mise en ligne d’une telle information révèle indirectement que les personnes recrutées à ce titre souffrent d’un handicap, elle ne donne directement aucune information sur la nature ou la gravité de ce handicap et ne saurait, par suite, être regardée comme procédant au traitement d’une donnée relative à la santé des personnes considérées ».

C’est donc au sujet d’une donnée personnelle « ordinaire » que le conseil d’État examine la demande de l’agent.

De seconde part, cet examen conduit le Conseil d’Etat à retenir une solution protectrice des données personnelles de l’agent.

Il est en effet jugé que :

« […] le maintien permanent sur le site internet du ministère de ces données personnelles excède ce qui est nécessaire au regard des finalités du traitement en cause, qui vise à garantir les droits des tiers et le respect du principe d’égal accès aux emplois publics énoncé à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il appartient ainsi à l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, une fois expiré le délai de recours contre un tel acte, de prendre des mesures de nature à limiter le traitement des données en cause à ce qui est nécessaire, en ne maintenant cette publication que sous la forme d’un extrait ne mentionnant pas le fondement juridique de l’arrêté de nomination. En l’espèce, à la date de la présente décision, le délai de recours est expiré et le maintien de la mise en ligne des informations révélant indirectement le handicap du requérant excède ce qui est nécessaire au regard des finalités du traitement ».

Cette solution fait peser sur l’administration « saisie d’une demande en ce sens », l’obligation d’agir pour « limiter le traitement des données en cause à ce qui est nécessaire, en ne maintenant cette publication que sous la forme d’un extrait ne mentionnant pas le fondement juridique de l’arrêté de nomination ».

Dès lors, au-delà de l’expiration du délai de recours contre l’arrêté, déclenché par la publicité de l’acte, « le maintien de la mise en ligne des informations révélant indirectement le handicap du requérant excède ce qui est nécessaire au regard des finalités du traitement ».

Le juge recherche l’équilibre entre, d’une part, la sécurité juridique résultant de la nécessaire publication d’un acte administratif afférent à la titularisation d’un agent public – qui a pour effet de rendre l’acte opposable aux tiers et de déclencher le délai de recours – et, d’autre part, la protection des données personnelles de l’agent.

Relevons enfin que la solution retenue dans l’arrêt du 10 juin 2021 n’est pas celle qui avait été proposée par le rapporteur public. Celui-ci avait, pour sa part, estimé que la publication en cause constituait une restriction légitime au droit au respect de la vie privée :

« L’obligation qui pèse sur l’administration de publier les arrêtés de nomination et de titularisation de ses agents, aujourd’hui de manière entièrement dématérialisée, non seulement pour faire connaître ces décisions mais aussi justifier de leur fondement s’agissant d’une procédure particulière de recrutement, laquelle obligation ne disparaît pas avec l’expiration des délais de recours, constitue à nos yeux une restriction légitime au droit au respect de la vie privée des fonctionnaires. Nous ne nions pas les préoccupations du requérant, qui fait notamment valoir qu’il serait exposé à des risques de comportements discriminatoires à son égard, lesquels cependant, étant interdits, doivent être empêchés, sinon sanctionnés, mais ces préoccupations ne justifient pas, à notre sens, que l’administration doivent « cacher » des informations de la nature de celles en litige. Certes, elle a la possibilité de le faire car l’article 3 du décret de 1963 envisage soit la reproduction intégrale de la décision, soit par extrait, mais elle n’en a pas l’obligation ».

Olivier CHEMINET, avocat

Lien vers l’arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043645870

Lien vers les conclusions de M. le rapporteur public : http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2021-06-10/431875

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