[VEILLE JURISPRUDENTIELLE] PEUT-ON SE FONDER SUR LE DÉLAI DE RÉALISATION D’UNE CONDITION SUSPENSIVE STIPULÉE PAR LE COMPROMIS DE VENTE POUR JUSTIFIER DE L’URGENCE À SUSPENDRE UN REFUS DE PERMIS DE CONSTRUIRE 

Dans une décision du 7 avril 2022 (CE, 07/04/2022, 453667, Inédit au recueil Lebon), le Conseil d’État est venu préciser comment la condition d'urgence devait s'apprécier dans le cadre d'un référé-suspension dirigé contre un refus de permis de construire lorsqu'une condition suspensive "dans l'intérêt exclusif" du pétitionnaire était stipulée dans la promesse de vente.

Si la condition d’urgence est présumée dans les référés dirigés contre les permis de construire, il n’en est pas de même lorsque l’acte contesté est un refus de permis de construire.

Dans ce cas, il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

A cette fin, le requérant doit justifier que la décision litigieuse « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate » à sa situation. Pour se prononcer, le juge doit également prendre en compte « les conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d’un permis de construire provisoire à l’issue d’un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés » (CE, 7 octobre 2016, Commune de Bordeaux, req. n° 395211).

Dans le cas particulier où le requérant entend se prévaloir de l’expiration du délai de réalisation d’une condition suspensive stipulée par son compromis de vente pour établir l’urgence, le Conseil d’État avait déjà jugé qu’il appartenait au Juge des référés de s’assurer que cette condition n’ait pas été stipulée dans l’intérêt exclusif de l’acquéreur (CE, 3 février 2017, n°403846).

Dans une décision récente, le Conseil d’État a rappelé ce principe qui s’applique même lorsque la promesse a été prorogée par un avenant :

« lorsqu’une promesse de vente comporte une condition suspensive stipulée dans l’intérêt exclusif de l’acquéreur, le défaut de réalisation de cette condition n’a ni pour objet ni pour effet de rendre caduque la promesse. Par suite, en retenant la circonstance que le refus litigieux faisait obstacle à l’acquisition du bien objet de la promesse de vente conclue le 13 mai 2020 et prorogée par un avenant du 23 juin 2021, pour juger que l’urgence justifiait la suspension de l’exécution de cette décision de refus, sans rechercher si, comme le faisait valoir la commune d’Auribeau-sur-Siagne, la condition suspensive tenant à la délivrance d’un permis de construire n’avait pas été stipulée dans l’intérêt exclusif de la société Pitch Promotion, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a commis une erreur de droit » (CE, 7 avril 2022, n°453667).

Pour comprendre le raisonnement du Conseil d’État, il convient de rappeler que seule la partie dans l’intérêt de laquelle la condition suspensive a été stipulée a qualité pour se prévaloir de sa non-réalisation (Civ. 3e, 26 juin 1996, no 94-18.525). Par conséquent, lorsqu’un compromis de vente comporte une condition suspensive tenant à la délivrance d’un permis de construire stipulée dans l’intérêt exclusif de l’acquéreur, seul ce dernier est en mesure de se prévaloir de la caducité de la promesse dans le cas où le permis de construire devait lui être refusé. Néanmoins, l’acquéreur n’est pas obligé de renoncer à la vente et peut acquérir le bien « à ses risques et périls » en renonçant au bénéfice de la clause suspensive.

Dans ce contexte, effectivement, on voit mal l’intérêt pour l’acquéreur à obtenir un permis provisoire à l’issue d’une procédure de référé.

Au contraire, si les parties aux contrats devaient considérer que la délivrance d’un tel permis réalise la condition suspensive, cela obligerait le bénéficiaire de la promesse à acquérir le bien alors même que l’autorisation d’urbanisme ainsi délivrée est provisoire ! Cette solution ne semble pas dans l’intérêt du requérant.

Dans l’hypothèse où le permis provisoire ne permettrait pas de réaliser la condition suspensive compte tenu de son caractère précaire, la décision du juge des référés n’aurait alors aucun effet sur l’exécution du contrat.

Dans ce cas, on comprend bien que le requérant ne peut établir l’urgence à suspendre le refus de permis de construire en se prévalant d’une promesse de vente comportant une condition suspensive stipulée dans son intérêt exclusif.

Par conséquent, la solution du Conseil d’État se justifie pleinement et s’inscrit dans la droite ligne de sa jurisprudence « Commune de Bordeaux », particulièrement exigeante à l’égard du requérant.

Néanmoins, cette solution a également de quoi surprendre. En effet, il est inhabituel que le Conseil d’État impose au juge administratif d’interpréter un document contractuel de droit privé pour fonder sa décision. En l’espèce, la difficulté est d’autant plus patente que le juge doit non seulement interpréter un acte conclu entre le requérant et un tiers à l’instance mais également anticiper les effets de sa décision sur la relation contractuelle. L’exercice peut s’avérer particulièrement complexe en référé.

Pour ces motifs, à notre connaissance les juges du fond n’ont pas encore fait application de cette méthode.

Pour lire la décision commentée, c’est ici.

Élodie VILCHEZ

Le 2 mai 2022

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