[VEILLE JURISPRUDENTIELLE – DROIT DE LA SANTÉ] PRÉCISIONS SUR LA DÉFINITION DE L’INFECTION NOSOCOMIALE ET SUR LES CONSÉQUENCES QUE LE JUGE DOIT TIRER DE LA PERTE D’UN DOSSIER MÉDICAL

Reposant aujourd’hui sur un régime de responsabilité sans faute, la qualification du caractère nosocomial de l’infection ne saurait être mise en échec par la démonstration d’une absence de faute par le professionnel, l’établissement, le service ou l’organisme de santé. Seule la démonstration de ce que l’infection résulterait d’une cause étrangère à la prise en charge du patient est susceptible de faire obstacle à une telle qualification.

Dans un arrêt en date du 1er février 2022 ( n°440852, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil d’État est venu affiner la définition de l’infection nosocomiale et préciser les conséquences à tirer par le juge de la perte, par l’établissement de santé, du dossier médical d’un patient.

M. B., atteint d’une maladie chronique de l’intestin, a été admis en urgence au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes puis transféré à l’hôpital Saint-Louis de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP). En date du 1er mai 2009, il y a subi une colectomie impliquant la réalisation d’une colostomie.

Quelques jours plus tard, il a été victime d’une rétractation de sa colostomie qui a provoqué une péritonite aiguë généralisée nécessitant une nouvelle intervention en urgence. Celle-ci lui a laissé de nombreuses séquelles.

Dans un jugement en date du 10 juillet 2018, le tribunal administratif de Rennes a jugé que cette péritonite revêtait le caractère d’une infection nosocomiale et a condamné l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à indemniser M. B.

Ce jugement a été annulé par la Cour administrative d’appel de Nantes qui a considéré que la péritonite dont avait été victime M.B, qui constituait un accident médical non fautif, ne pouvait être regardée comme une infection nosocomiale.

Le Conseil d’Etat s’était déjà saisi de cette notion par deux décisions passées.

Doit ainsi être regardée comme présentant un caractère nosocomial, au sens des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, « une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge », sauf à ce que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée par les établissements, services et organismes mentionnés aux dispositions précitées (CE, 21 juin 2013, n° 347450, publié au recueil Lebon). La circonstance que l’infection nosocomiale se déclare lors de l’hospitalisation ne suffit cependant pas, celle-ci devant être la conséquence des actes pratiqués dans le cadre de la prise en charge du patient ou de son séjour dans l’établissement hospitalier (CE, 23 mars 2018, n° 402237, publié au recueil Lebon).

Dans son arrêt du 1er février 2022, la Haute Juridiction précise encore davantage les contours de cette notion en affirmant sans ambiguïté que la circonstance que l’infection aurait trouvé sa cause dans un accident médical non fautif ou qu’elle serait en lien avec une pathologie préexistante est sans emport sur la reconnaissance de son caractère nosocomial.

Seul importe donc que l’infection soit survenue lors de la prise en charge du patient, que celle-ci n’était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, et qu’elle n’ait pas d’autre origine que cette prise en charge.

Le Conseil d’Etat a par ailleurs jugé dans le même arrêt que l’incapacité de l’AP-HP à communiquer aux experts judiciaires l’intégralité du dossier médical de M. B. n’était pas, en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs de l’établissement de santé dans la prise en charge du patient.

Ce faisant, la Haute juridiction administrative a refusé de suivre la voie de la présomption de responsabilité que le pourvoi lui suggérait d’emprunter, consistant à poser en principe, en cas de perte du dossier médical, une inversion de la charge de la preuve de la faute médicale pour le patient.

Une telle solution, adoptée par la Cour de cassation depuis 2012 (Cass, 1ère civ., 13 décembre 2012, 11-27347), fait en définitive reposer sur le seul établissement de santé la démonstration de ce que le suivi, ou les soins, ont été appropriés. Et elle permet l’engagement de la responsabilité de ce dernier dès lors qu’il ne parvient pas à démontrer que les soins délivrés ont été adaptés.

Le Conseil d’Etat a préféré privilégier un maniement plus souple de la charge de la preuve consistant à libérer les parties de la preuve de la réalité des faits qu’elles allèguent tout en leur imposant de faire au moins état d’éléments de nature à mettre en doute la qualité de la prise en charge effectuée par l’établissement hospitalier.

Il reviendra alors en définitive au juge, au regard de ces éléments, de prendre en compte, dans son appréciation des fautes reprochées à l’établissement, la circonstance que le dossier médical du patient était incomplet.  

Pour lire la décision commentée, c’est ici : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000045112838?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=cetat

Valentine VIENNE et Jean ERKEL

Le 08 mars 2022

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