RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION D’UN AGENT EN RAISON DE SON ÉTAT DE SANTÉ ET RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE

A l’occasion du transfert de compétences d’un service de restauration scolaire d’un collège, initialement géré par la Communauté de communes du Jura Alsacien, devenue Communauté de communes du Sundgau, et transféré au Département du Haut Rhin, ce dernier a convoqué l’ensemble des agents de la Communauté de communes affectés à ce service.

Tous… Sauf un, puisque M. BLIND, agent de la Communauté de communes affecté au service de restauration du collège n’a pas été convoqué, au motif que celui-ci se trouvait en arrêt maladie au moment des entretiens, et ce, quand bien même son arrêt maladie comportait les mentions « sorties autorisées, sans restriction d’horaires » et quand bien même M. BLIND avait émis le souhait d’être reçu en entretien.

M. BLIND n’a pas davantage été convoqué en entretien à son retour de congé maladie.

Par la suite et selon décision du 24 décembre 2014, le Département du Haut Rhin a refusé de procéder au transfert de M. BLIND, alors même que tous les autres agents de la Communauté de communes affectés au service de restauration scolaire avaient pu bénéficier d’un transfert.

La communauté de communes étant de taille modeste et ne gérant pas d’autre service de restauration, elle n’a pu reclasser M. BLIND, qui a dû être placé en surnombre.

1.

Représentée par le cabinet SOLER-COUTEAUX & ASSOCIES, la Communauté de communes a contesté la légalité de la décision du 24 décembre 2014, faisant valoir que le Département du Haut Rhin s’était rendu coupable de discrimination à l’encontre de M. BLIND.

Le Département se défendait en soutenant qu’il n’avait aucune obligation de reprendre le personnel, dans le cadre de ce transfert de compétences et que par conséquent l’absence de transfert de M. BLIND ne pouvait être regardée comme discriminatoire.

Le 18 mai 2017, le Tribunal administratif s’est prononcé sur la requête formée par la communauté de communes, et a annulé la décision du 24 décembre 2014, au motif qu’elle opérait une discrimination à l’encontre de M. BLIND, en raison de son état de santé.

Rappelant la jurisprudence en matière de discrimination, le Tribunal indique qu’il appartient dans un premier temps au requérant, qui se prévaut de l’existence d’une discrimination, de soumettre au juge « des éléments de faits susceptibles de faire présumer du sérieux de ses allégations ». Dans un second temps, il appartient à l’administration d’établir que la mesure contestée « repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

En l’espèce, le Tribunal a notamment retenu que le Département avait refusé de recevoir M. BLIND en entretien, alors même que ce dernier avait émis le souhait d’être reçu, qu’aucune restriction médicale ne s’y opposait et que l’ensemble des agents de la communauté de communes affecté au service transféré avaient été reçus en entretien.

L’ensemble de ces éléments constitue un faisceau d’indices permettant de justifier du sérieux des allégations de discrimination, que le Département du Haut Rhin n’a pas pu contrebalancer, dans la mesure où il n’apportait aucun élément de nature à démontrer le caractère objectif et dépourvu de toute discrimination de l’acte attaqué.

L’annulation de la décision du 24 décembre 2014 a été assortie d’une injonction de recevoir M. BLIND en entretien.

Cette décision particulièrement satisfaisante n’a malheureusement jamais pu être exécutée.

En effet, M. BLIND, après avoir subi une dépression sévère suite à la discrimination dont il avait été victime, est décédé des suites d’un tragique accident domestique.

A la suite du drame, tant la communauté de communes que les ayant droits de M. BLIND ont recherché la responsabilité du Département du Haut, suite à la faute résultant du traitement discriminatoire subi par M. BLIND.

2.

La Communauté de communes en premier lieu, soutenait avoir subi un préjudice du fait de l’illégalité commise par le Département : dans l’incapacité de reclasser M. BLIND, elle avait dû placer ce dernier en surnombre et continuer à verser son traitement sans pouvoir l’affecter au service.

Cependant, le Tribunal administratif a rejeté sa requête selon jugement du 23 octobre 2019, estimant que, si M. BLIND avait bien été victime d’une discrimination liée au fait que le Département avait refusé de le recevoir en entretien, il n’en restait pas moins que le Département n’avait aucune obligation de recruter cet agent dans le cadre du transfert, mais uniquement une obligation de le traiter de façon non discriminatoire.

Par conséquent, le simple fait que M. BLIND ait subi une discrimination de la part du Département n’est pas de nature à engager la responsabilité de ce dernier vis-à-vis de la communauté de communes, faute de lien de causalité entre le préjudice dont elle se prévalait et l’illégalité constatée.

3.

Il en va autrement pour ce qui concerne le préjudice personnel de M. BLIND et de ses proches.

Le Cabinet SOLER-COUTEAUX & ASSOCIES a introduit une action indemnitaire pour le compte des requérants suivants :

  • Mmes Sandra et Christelle BLIND, les filles de M. Hervé BLIND, en leur qualité d’héritières recevables à réclamer le préjudice subi directement par ce dernier ;
  • Mmes Sandra et Christelle BLIND mais également M. Edouard BLIND et Mme Yvette GENAIS, les parents de M. BLIND, en leur nom propres.

En leur qualité d’héritières, les filles de M. BLIND sollicitaient l’indemnisation du préjudice subi par ce dernier au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existences directement liés a la discrimination dont il avait été victime dans le cadre de son emploi.

En effet, M. BLIND, qui prenait à cœur sa mission, avait été profondément marqué par l’attitude du Département à son encontre, et avait été plongé dans une dépression sévère.

Selon jugement du 2 décembre 2021, le juge leur alloue la somme de 3 000,00 €, considérant que la faute du Département est la conséquence directe du préjudice subi par M. BLIND.

La modestie de somme allouée tient à la fois à la sévérité de la juridiction administrative en matière d’indemnisation du préjudice moral, mais également, malheureusement, à l’isolement social de M. BLIND qui est la conséquence directe du traitement dont il avait été victime.

Ce dernier avait en effet coupé peu à peu les ponts avec ses amis, de sorte que seule sa famille proche était en mesure de fournir des attestations justifiant de sa santé mentale dégradée. Par ailleurs, et comme c’est encore trop souvent le cas des personnes souffrant de dépression, il n’a pas bénéficié d’un suivi psychologique, ni recherché de l’aide auprès de son médecin traitant, de sorte que ses héritières n’étaient pas en mesure de verser aux débats des certificats médicaux attestant de sa situation.

Cependant, le jugement obtenu est satisfaisant pour les requérantes, qui recherchaient avant tout une décision de principe suite au traitement discriminatoire que le Département du Haut Rhin avait fait subir à leur père.

En second lieu, les filles de M. BLIND ainsi que les parents de ce dernier avaient saisi le Tribunal d’une demande indemnitaire visant à compenser leur préjudice propre, résultant du fait d’avoir été témoins de la souffrance de leur proche – ce que la jurisprudence civile appelle « préjudice par ricochet ».

Sur ce point, tout en reconnaissant la possibilité, par principe, d’indemniser le préjudice par ricochet, le Tribunal rejette leur demande, faute de production d’éléments circonstanciés permettant d’établir la réalité de leur préjudice, là encore pour des raisons similaires à celles exposées ci-avant.

Pour lire les trois jugements, objets du présent commentaire, rendez-vous ci-dessous :

Le 25 janvier 2022

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