[CONCESSION D’AMÉNAGEMENT] – REQUALIFICATION EN MARCHÉ PUBLIC EU ÉGARD À L’ABSENCE DE TRANSFERT DU RISQUE LIÉ À L’EXPLOITATION

Une concession d’aménagement doit être requalifiée en marché public lorsque la rémunération de l’aménageur n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement. C'est le principal enseignement qu'il convient de tirer d'un arrêt rendu le 18 mai dernier par le Conseil d'Etat (n° 443153).

Les faits qui ont conduit à la solution dégagée par la Haute Juridiction sont les suivants :

Par un contrat conclu le 12 août 1991, la Commune de Liévin a confié l’aménagement de la friche Sabès à la société immobilière de construction de Liévin. Ce contrat a été repris tant par la communauté d’agglomération de Liévin, venue aux droits de la commune de Liévin, que par la société Territoires 62, venue aux droits de la société immobilière de construction de Liévin.

L’opération d’aménagement de la friche a finalement été clôturée par délibération du conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin en date du 17 mars 2006, arrêtant le déficit de ladite opération à la somme de 857 664,64 euros.

Par une délibération du 1er juin 2015, le même conseil communautaire a autorisé son président à signer un protocole transactionnel avec la société Territoires 62, en vue de lui régler une somme égale à ce déficit, en contrepartie notamment de la renonciation de cette société à réclamer des intérêts moratoires.

La transaction a été signée le 13 août 2015.

Plusieurs élus au sein du conseil communautaire ont alors contesté devant les juridictions administratives la validité de ce contrat de transaction en soutenant que ce dernier méconnaissait l’article 67 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994.

En effet, ces dispositions, qui ont été abrogées à l’occasion de l’entrée en vigueur du code de la commande publique, mais dont l’article L. 2192-14 de ce code reprend le même contenu, précisaient que : «  Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l’autorisation d’émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance ».

Cette règle d’interdiction de renonciation au paiement des intérêts moratoires est d’ordre public, de sorte qu’on ne peut y renoncer par transaction, puisque les dispositions de l’article 67 de la loi du 8 août 1994 interdisent de façon absolue toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, que cette renonciation intervienne lors de la passation du marché ou postérieurement.

Ainsi, notamment, toute délibération de l’organe délibérant de la personne publique responsable du marché qui autoriserait une transaction avec le titulaire du marché ou avec ses sous-traitants par laquelle ceux-ci renonceraient à tout ou partie des intérêts qui leur seraient dus serait illégale, quel que soit le moment où elle interviendrait.

Toutefois, cette règle d’interdiction de renonciation au paiement des intérêts moratoires ne vaut qu’en matière de marchés publics, et non si le contrat en cause est un contrat d’une autre nature.

La question s’est donc posée au Conseil d’État de savoir si la concession confiant l’aménagement de la friche Sabès à la société immobilière de construction de Liévin constituait ou non un marché public.   

Avant de répondre à cette interrogation, le Conseil a tout d’abord précisé que les dispositions de l’article L. 300-4 et R. 311-4 du Code de l’urbanisme relatives aux concessions d’aménagement n’avaient pas, dans leur version applicable au litige, pour effet de soustraire au respect des règles régissant les marchés publics les contrats confiant à un tiers l’étude et la réalisation d’opérations d’aménagement.

Il faut rappeler ici que les concessions d’aménagement, qui ne constituent pas une catégorie autonome de contrat, revêtent tantôt le caractère d’un marché public, tantôt celui d’une concession.

Le critère permettant de distinguer les concessions d’aménagement qui relèvent du droit des marchés publics de celles qui relèvent du droit des concessions réside en définitive dans la question de savoir si un risque d’exploitation est supporté par l’aménageur.

L’existence d’un risque assumé par l’aménageur doit s’apprécier au regard de l’ensemble des stipulations du contrat de concession, s’agissant du mode de rémunération retenu, de l’importance des apports et subventions des collectivités publiques, du sort des biens non commercialisés en fin de contrat et des garanties consenties par la personne publique contractante.

En l’absence de risques pour le concessionnaire, le contrat de concession d’aménagement relève du régime des marchés publics.

En l’espèce, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé que les stipulations de l’article 3 du traité de concession prévoyaient que la commune s’engageait à garantir le service des intérêts et le remboursement des emprunts que la société concessionnaire contracterait pour la réalisation de l’opération d’aménagement et à inscrire, en conséquence, à son budget les sommes correspondantes. 

La collectivité s’engageait par ailleurs à mettre à la disposition du concessionnaire le produit des emprunts qu’elle aurait souscrit pour la réalisation de cette opération.

Les stipulations de l’article 5 du même contrat précisaient en outre que l’opération d’aménagement était réalisée sous le contrôle de la collectivité et à ses risques financiers de sorte qu’à l’expiration de la concession, la commune bénéficierait du solde positif ou prendrait en charge le solde négatif résultant des comptes de l’opération.

De surcroît, l’article 29 du cahier des charges de la concession stipulait que le bilan de clôture arrêté par la société concessionnaire fixerait le montant définitif de la participation financière de la collectivité aux travaux d’aménagement nécessaire pour équilibrer les comptes, majoré de la rémunération de la société et de la perte cumulée.

Enfin, les stipulations des articles 25 et 28 dudit cahier des charges prévoyaient en outre que la collectivité contractante s’engageait à contribuer au remboursement des annuités des emprunts garantis de la société concessionnaire, si ses recettes ne suffisaient pas y pourvoir, et que le concessionnaire percevrait une rémunération globale et forfaitaire pour ses frais généraux et de fonctionnement.

Le Conseil d’État a considéré qu’au regard de l’ensemble de ces stipulations, le concessionnaire ne pouvait être regardé comme ayant pris un risque financier dans cette opération, le concédant, c’est-à-dire la collectivité publique, supportant seule l’ensemble de ces risques.

Par suite, la Haute juridiction a jugé que le contrat litigieux, bien que formellement conclu en qualité de concession d’aménagement soumise aux dispositions de l’article L. 300-4 du Code de l’urbanisme, constituait un marché public dès lors que la rémunération du concessionnaire n’était pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement.

En conclusion, on précisera qu’aux termes de l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique, la rémunération du concessionnaire sera substantiellement liée aux résultats de l’opération dès lors que la part de risque qui lui sera transférée impliquera une réelle exposition aux aléas du marché. Les pertes potentielles supportées par le concessionnaire ne devront à cet égard pas être purement théoriques ou négligeables.

Surtout ce dernier sera réputé assumer un risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il ne sera pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service.

À défaut d’un tel risque, le contrat sera considéré comme un marché public 

Pour lire la décision, c’est ici : CE, 18 mai 2021, n°443153, 443158

David GILLIG et Jean ERKEL

Le 20 mai 2021

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