Peut-on désaffecter un chemin rural par une délibération ?

Cette question a été de longue date tranchée par la jurisprudence qui considère classiquement que la désaffection d’un chemin rural résulte d’un état de fait (CE, 25 novembre 1988, n° 59069)

Traditionnellement, le conseil municipal est donc compétent pour « constater » cet état de désaffectation et non pour le « décider ».

Cette solution est cohérente avec l’article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit que « l’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale ».

Pourtant, dans une décision récente, après avoir rappelé ce principe, la cour administrative d’appel de Nantes a considéré qu’une délibération permet de désaffecter un chemin rural, le cas échéant de manière rétroactive :

« la désaffectation d’un chemin rural résulte, en principe, d’un état de fait, caractérisé notamment par la circonstance qu’il n’est plus utilisé comme voie de passage et qu’il ne fait plus l’objet de la part de l’autorité communale d’actes réitérés de surveillance ou de voirie. Ces dispositions ne font toutefois pas obstacle au droit du conseil municipal de décider l’aliénation d’un chemin rural, alors même que ce chemin n’aurait pas cessé d’être utilisé par le public, sous réserve que soit adoptée par ce conseil municipal une délibération décidant expressément de cesser l’affectation du chemin à l’usage du public » (CAA Nantes, 22 septembre 2020, n° 20NT01144).

Il convient de noter que cette solution atypique permettait en l’espèce de régulariser la vente du chemin communal intervenu plusieurs années auparavant.

Si cette solution est séduisante, il convient de noter qu’elle reste isolée et surtout qu’elle a été remise en question dans le cadre des débats parlementaires relatifs au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En effet, l’article 57 ter du projet de loi votée en première lecture par l’Assemblée Nationale précise que « la désaffectation préalable d’un chemin rural ne pourra résulter que d’une cause naturelle et spontanée consécutive à un désintérêt durable du public ».

Cette formulation vise précisément à interdire au Conseil municipal de prendre une décision portant sur la désaffectation d’un chemin rural (v. Rép. min. n° 36468  : JOAN 8 juin 2021, p. 4725).

Mais surtout, l’article 57 ter du texte adopté par l’Assemblée Nationale précise encore :

« La désaffectation est réputée nulle lorsqu’elle est la conséquence d’un acte visant à entraver la circulation ou du non-respect des articles D. 161‑14 à D. 161‑19. »

Ces dispositions particulièrement strictes interdiraient ainsi au conseil municipal de décider la désaffectation d’un chemin rural mais surtout, la désaffectation devrait être entendue de manière plus restrictive.

L’Assemblée Nationale entend ainsi mettre l’accent sur les droits des riverains et des usagers dans un nouveau contexte dans lequel ces chemins doivent être intégré à  « une politique de tourisme vert visant à préserver le paysage rural ainsi que les itinéraires de promenade et de randonnée»[1]. Les débats parlementaires ont également souligné le rôle important des chemins ruraux dans le cadre de la protection de la biodiversité ou l’ouverture des corridors écologiques.

Toutefois, le Sénat n’a pas conservé cet amendement dans le texte qu’il a adopté en première lecture le 29 juin 2021. Faut-il pour autant en déduire que le Sénat souhaite entériner la possibilité de décider la désaffectation par délibération ?

Rien n’est moins sûr. Il ressort du rapport de sa commission de l’aménagement du territoire et du développement durable que le Sénat a rejeté cet amendement au motif qu’il introduisait de la complexité dans la gestion des terrains communaux en imposant aux communes d’établir le « désintérêt durable du public » pour constater la désaffectation.

Le rejet de cet amendement par le Sénat n’est donc pas une approbation implicite de la solution retenue par la Cour administrative de Nantes. Il y a plutôt lieu d’y voir la validation de la solution traditionnellement retenue par la jurisprudence et qui est rappelée par le rapporteur « la procédure d’aliénation, prévue à l’article L. 161-10 du code rural, nécessite au préalable que le chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public ».

Dans ce contexte, la prudence s’impose au risque de voir remis en cause ultérieurement les cessions qui résulteraient de délibérations décidant la désaffection.

le 7 juillet 2021


[1] Rapport de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, 19 mars 2021

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